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Ecrire de plaisir
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6 février 2011

Niggle, la fin

Une ombre tomba un instant entre Niggle et Parish, car le premier savait qu’il ne voulait pas continuer mais que, d’une certaine façon, il le devait. Alors que le second ne voulait pas aller plus loin, il n’était pas encore prêt.

- Je dois attendre ma femme – dit Parish à Niggle. Elle serait trop seule, sinon. J’ai plus ou moins compris qu’ils l’enverraient après moi, quand elle serait prête et que j’aurais tout préparé pour elle. La maison est finie à présent, elle est aussi bien que possible. Mais j’aimerais la lui montrer. Elle saura l’améliorer encore je pense. J’espère qu’elle aimera cette région aussi.

Il se tourna vers le berger

- Pouvez-vous me dire comment s’appelle ce pays ?

- Vous l’ignorez donc ? – répondit l’homme - C’est le pays de Niggle. C’est le tableau de Niggle, du moins sa majeure partie, car l’une de ses parcelles est désormais le Jardin de Parish.

- Le tableau de Niggle ?  répéta Parish tout étonné – C’est vous qui avez imaginé tout ceci, Niggle ? Je ne vous aurais jamais cru si habile. Pourquoi ne m’avoir rien dit ?

- Il a essayé, il y a longtemps – dit le berger – mais vous ne vouliez pas regarder. Il n’y avait que de la toile et des couleurs à cette époque, et vous vouliez vous en servir pour réparer votre toit. Ce que vous voyez là est ce que votre femme et vous appeliez les Inepties de Niggle, ou le Barbouillage.

- Mais cela n’avait pas cet aspect, alors, ce n’était pas réel !

- Non, ce n’était qu’un aperçu, à ce moment-là – répondit l’homme – mais vous auriez pu le voir si seulement vous vous étiez donné la peine d’essayer.

- Je ne vous en ai guère laissé l’occasion – intervint Niggle – Je n’ai jamais essayé de vous expliquer. Je vous appelais le vieux défricheur. Mais qu’importe, nous avons vécu et travaillé ensemble, à présent. Les choses auraient sans doute pu être différentes, mais elles n’auraient pu être mieux. Je crains toutefois d’être obligé de continuer ma route. J’espère que nous nous rencontrerons à nouveau. Adieu !

Il serra chaleureusement la main de Parish puis se retourna et considéra un instant le paysage. La floraison du grand arbre brillait comme une flamme. Tous les oiseaux voletaient autour en chantant. Il sourit, fit un dernier signe de tête à Parish et s’en fut avec le berger. Il allait en apprendre davantage sur les Montagnes, contempler un ciel plus étendu et monter toujours, toujours plus haut. Au-delà, je ne puis conjecturer ce qu’il advint de lui.

Dans son ancienne ville à cet instant, on parlait de lui.

- Je pense que c’était un petit bonhomme assez sot – disait le conseiller municipal Tomkins. Sans aucun mérite ni aucune utilité pour la Société.

- Oh je ne sais pas – répondit Atkins, qui n’était pas un personnage important (un simple maître d’école). Je ne suis pas sûr. Cela dépend de ce que vous entendez par utilité.

- Aucune utilité économique – dit Tomkins – je ne dis pas qu’on n’aurait pas pu en faire un rouage utilisable si vous autres, les maîtres d’école, connaissiez votre métier. Mais ce n’est pas le cas et c’est ainsi qu’on a des bons à rien de son genre. Si je dirigeais ce pays je les mettrais, lui et ses pareils, à faire des tâches qui leur conviennent, la vaisselle ou l’astiquage par exemple, et s’ils ne les faisaient pas correctement, je les liquiderais.

- Les liquider ? Vous voulez dire…leur faire faire le grand voyage avant leur temps ?

- Et bien oui, si vous tenez à cette expression surannée et ridicule.

- Mais vous ne pensez pas que la peinture ait quelque valeur, qu’il y ait intérêt à la préserver, à en faire usage ?

- Si,  la peinture a son utilité. Mais pas une peinture comme la sienne. Il y a de l’avenir pour les jeunes qui ne craignent pas d’appliquer les nouvelles méthodes. Mais sa peinture à lui c’est de la vieillerie obsolète, de la poésie sans intérêt. Il n’aurait jamais su composer une affiche qui accroche. Il fignolait toujours des feuilles et des fleurs ! Un jour , je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu qu’il les trouvait jolies. Jolies ! Stupide bricoleur !

- Bricoleur, oui – soupira Atkins – le pauvre bonhomme, il ne terminait jamais rien. Enfin… On a employé ses toiles à de « meilleurs usages » après son départ. Mais bon, je ne suis pas sûr, Tomkins. Vous vous rappelez ce grand tableau, celui dont on s’était servi pour rapetasser la maison de son voisin quand elle avait été endommagée par la tempête ? J’en ai trouvé un coin arraché, dans un champ. Il était abîmé, mais lisible : c’était une cime de montagne et un rameau de feuille. Je ne peux la chasser de mes pensées.

- Comment ?

- De quoi parlez vous donc ? – intervint Perkins pour calmer le jeu : Atkins était devenu tout rouge.

- Personne qui vaille la peine de prononcer son nom – dit Tomkins. D’ailleurs je me demande pourquoi nous parlons de lui, il n’habitait même pas en ville.

- Non – riposta Atkins – mais vous ne perdiez tout de même pas sa maison de vue. C’est pour cela que vous alliez le voir et vous moquer de lui tout en buvant son thé. Et bien vous l’avez maintenant sa maison, alors ce n’est pas la peine de mépriser son nom. Nous parlions de Niggle – ajouta-t-il pour Perkins.

- Ah oui, ce pauvre petit Niggle. J’ignorais qu’il peignait.

Ce fut sans doute la dernière fois que le nom de Niggle apparut dans une conversation. Mais Atkins conserva le morceau de tableau. La plus grande partie s’émietta, mais une merveilleuse feuille resta intacte. Atkins la fit encadrer. Par la suite il la légua au Musée municipal et pendant longtemps « Feuille » de Niggle, resta accrochée dans un coin, où peu de visiteurs la remarquèrent. Finalement le musée fut détruit par un incendie et la feuille ainsi que Niggle furent entièrement oubliés.

- Ce joli coin s’est révélé très utile – dit la Seconde Voix – comme lieu de vacances et de loisir. C’est idéal pour les convalescents, et de plus, pour beaucoup, c’est la meilleure introduction aux Montagnes. Cela fait merveille dans bien des cas. J’y envoie de plus en plus de gens. Il est rare qu’ils aient à revenir.

- C’est vrai, je l’admets – dit la Première Voix. Je pense qu’il faudrait maintenant donner un nom à l’endroit. Avez-vous une idée ?

- Le Porteur a réglé la question il y a déjà quelque temps. Il crie maintenant « Le train pour la paroisse (Parish) de Niggle est à quai ! ». J’ai envoyé un message à Niggle et un à Parish pour le leur dire.

- Quelle a été leur réaction ?

- Ils ont ri, tous les deux. Ri, à en faire résonner les Montagnes !

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