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Ecrire de plaisir
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4 février 2011

Feuille, de Niggle...4e partie

Niggle sortit par la grande porte et battit un peu des paupières car le soleil était très brillant. Et il était un peu surpris, aussi : il s’était attendu à trouver une grande ville, proportionnée à la gare, mais il se trouvait au sommet d’une colline verte et dénudée, balayée par un vent tonifiant. Il n’y avait personne alentour. En bas de la colline, au loin, il voyait luire le toit de la gare. Il descendit dans cette direction d’un pas alerte. Le Porteur l’aperçut immédiatement.

« Par ici ! » dit-il, et il conduisit Niggle à un quai où attendait un charmant petit train local : un seul wagon et une locomotive tous deux fraîchement peints et rutilants de propreté. Même la voie qui s’étendait devant la locomotive paraissait neuve avec ses rails brillants. Les traverses émettaient une délicieuse odeur de goudron frais sous le chaud soleil. Le wagon était vide.

- Où va ce train ? demanda Niggle au Porteur.

- Je ne crois pas qu’ils aient déjà donné un nom à l’endroit – répondit celui-ci – mais vous le trouverez sans peine.

Il ferma la portière. Le train s’ébranla aussitôt. Niggle se carra sur la banquette. Le temps ne lui parut pas vraiment long avant que la locomotive freine en lançant un coup de sifflet. Le train s’arrêta. Il n’y avait pas de gare, pas d’écriteau ; seul un escalier gravissait le talus vert. En haut, dans une haie, se trouvait un portillon.

CIMG1682

A côté, Niggle vit sa bicyclette. Du moins eut-il l’impression que c’était la sienne. Et puis une grande étiquette jaune était attachée au guidon avec son nom en lettres noires.
Niggle poussa le portillon, sauta sur sa bicyclette et partit bon train vers le bas de la colline dans le soleil printanier. Il s’aperçut peu après que le sentier avait disparu et que le vélo roulait sur un merveilleux gazon bien vert et bien dru. Il lui semblait avoir déjà vu cette étendue d’herbe quelque part, dans la réalité ou en rêve. Les courbes du terrain lui semblaient familières, mais oui, il s’aplatissait comme il le devait puis remontait comme il s’en souvenait. Une grande ombre verte s’interposa soudain entre Niggle et le soleil. Il leva la tête…et tomba de sa bicyclette : Devant lui se dressait l’Arbre, son Arbre, achevé. Si du moins on pouvait dire cela d’un arbre vivant dont les feuilles s’ouvraient, dont les branches se courbaient dans le vent que Niggle avait si souvent senti ou deviné et qu’il avait si souvent échoué à rendre sur la toile.

CIMG0309b

Contemplant l’Arbre, il leva les bras et les ouvrit tout grands, en disant :

- C’est un don !

Il pensait à son art et au résultat, bien sûr. Mais il employait aussi ce mot au sens littéral.
Il continua d’examiner l’Arbre. Toutes les feuilles sur lesquelles il avait peiné se trouvaient là, telles qu’il les avait imaginées plutôt que telles qu’il les avait faites ; et il y en avait aussi d’autres, qui n’avaient bourgeonné que dans son esprit, et bien d’autres dont l’idée aurait pu lui venir s’il avait eu le temps. Il n’y avait rien d’écrit dessus, c’était simplement des feuilles exquises, et pourtant chacune d’elles était datée, pour lui, avec la précision d’un calendrier. On voyait que certaines d’entre elles, en fait parmi les plus belles et les plus représentatives du style de Niggle, avaient été réalisées avec la collaboration de M. Parish. Oui, la collaboration, il n’y avait pas d’autre moyen d’exprimer la chose.
Des oiseaux étonnants nichaient dans l’Arbre. Comme ils chantaient ! Sous les yeux de Niggle ils s’accouplaient, pondaient, les œufs éclosaient, les petits grandissaient, apprenaient à se servir de leurs ailes et s’envolaient en chantant vers la Forêt. Car il voyait à présent que la Forêt était là aussi, se déployant de part et d’autre et s’étendant jusqu’à l’horizon barré par les montagnes luisantes sous le soleil.
Au bout d’un moment, Niggle tourna son attention vers cette Forêt. Non qu’il en eût assez de l’Arbre mais il lui semblait que tout de lui était tellement imprimé dans son esprit qu’il pouvait sentir sa croissance constante même sans le regarder.
Comme il s’éloignait à pied il prit conscience d’un détail curieux : la Forêt était, bien sûr, une Forêt lointaine et pourtant il pouvait l’approcher, y pénétrer même, sans qu’elle perdît ce charme particulier.

Niggle se promena donc. Mais il ne faisait pas que cela. Il cherchait avec soin. L’Arbre était achevé, c’est un fait, mais il n’en avait pourtant pas fini avec lui ; « tout le contraire d’autrefois » se dit-il – et il y avait dans la Forêt plusieurs secteurs peu concluants qui appelaient davantage de réflexion et de travail. Rien n’avait plus besoin d’être modifié, à ce stade rien n’était faux, mais le tableau nécessitait d’être poursuivi jusqu’à un point bien déterminé. Pour chaque secteur, Niggle voyait ce point avec précision.

Il s’assit sous un très bel arbre voisin du sien – une variation de l’Arbre – et examina où il devait commencer son travail, où le terminer et combien de temps cela lui prendrait. Il ne parvint pas tout à fait à établir son plan.

- Mais bien sûr ! – s’écria-t-il – Il me faut Parish ! Il sait tout sur la terre, les plantes, les arbres. Cet endroit ne peut pas rester mon parc privé, j’ai besoin d’aide et de conseils. J’aurais dû le comprendre plus tôt.

Il se leva et se dirigea vers l’endroit où il avait envisagé de commencer son travail. Il retira sa veste et la posa à terre. En se redressant il aperçut un petit creux abrité qu’il n’avait pas vu jusque là et, dans ce creux, un homme qui regardait autour de lui, l’air désorienté. Il était appuyé sur une bêche mais ne savait manifestement pas quoi faire. Niggle le reconnut et le héla :

- Parish !

Parish mit la bêche sur son épaule et se dirigea vers lui. Il boitait encore un peu. Ils ne se parlèrent pas, se contentant de se saluer de la tête comme par le passé, avant de s’engager ensemble dans le sentier. Mais à présent, ils marchaient bras dessus bras dessous. Sans rien se dire, ils s’accordèrent parfaitement sur l’endroit où placer la petite maison et le jardin qui semblaient nécessaires.

A mesure qu’ils travaillaient ensemble, il devient clair que c’était Niggle, désormais, le plus apte à organiser son temps et à accomplir des choses. Curieusement, ce fut lui le plus absorbé dans le jardinage et la construction de la maison, tandis que Parish se surprenait souvent à contempler les arbres, et particulièrement l’Arbre.

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Un jour, Niggle s’affairait à planter une haie vive et Parish, allongé non loin, fixait avec attention une petit fleur qui sortait, belle et bien découpée, de l’herbe verte. Longtemps auparavant Niggle en avait placé une grande quantité parmi les racines de son Arbre. Soudain, Parish leva la tête vers Niggle. Son visage étincelait dans le soleil et il souriait.

- C’est merveilleux ! - s’écria-t-il - D’autant plus que je ne devrais même pas être ici. Merci d’avoir dit un mot en ma faveur.

- Allons donc – répondit Niggle – je ne  me rappelle pas du tout ce que j’ai dit, mais ce n’était pas la moitié de ce que j’aurais dû dire.

- Oh mais si – poursuivit Niggle – cela m’a permis de sortir beaucoup plus tôt. Cette Seconde Voix, vous savez, c’est son propriétaire qui m’a fait envoyer ici. Il a dit que vous aviez demandé à me voir. Alors c’est à vous que je le dois.

- Non – dit Niggle gentiment – nous le devons tous deux à la Seconde Voix.

Ils continuèrent leur travail, se fatiguant parfois, surtout au début, mais ils s’aperçurent que dans la maison avaient été déposés à leur intention deux flacons de tonique, qui portaient l’étiquette : « ajouter quelques gouttes d’eau de la source. Prendre avant le repos".

Ils découvrirent la Source au cœur de la forêt. C’était elle qui alimentait en eau tout le pays. Elle était un petit peu amère au début, mais très tonique et leur permettait de travailler joyeusement de longues heures. Niggle ne cessait de penser à de nouvelles fleurs et Parish savait toujours précisément où les planter pour qu’elles poussent au mieux et fassent le meilleur effet. Grâce à l’eau, il ne boitait plus.

A mesure qu’ils approchaient de la fin de leur travail, ils s’accordèrent de plus en plus de temps pour la promenade, la contemplation de toutes les beautés du paysage. Mais Niggle se surprit à regarder de plus en plus souvent vers les montagnes, au loin.
Le moment arriva où la maison dans son creux de verdure, le jardin, la forêt, le lac et tout le paysage furent quasiment achevés à leur satisfaction à tous deux. Le Grand Arbre était en pleine floraison. Puis tout fut fini, et ils s’accordèrent une longue promenade à pied, jusqu’au moment où, ayant dépassé les lointains, ils arrivèrent au Bord. Il n’était pas visible, bien sûr. Il n’y avait pas de clôture, pas de ligne de séparation, pas de mur. Mais ils savaient qu’ils étaient arrivés au Bord de ce pays. Ils virent un homme, qui semblait être un berger, s’avancer vers eux, descendant de l’un des chemins qui menaient au sommet des montagnes.

- Voulez-vous un guide ? – leur demanda-t-il – Voulez-vous poursuivre votre chemin ?

(la prochaine fois...fin de l'histoire !)

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