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Ecrire de plaisir
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29 janvier 2010

La tristissime histoire de Guido et Iseult

Mille merci à Maryreveuse, Monelle et Pierre pour leurs souhaits d'anniversaire, cela m'a fait tout chaud partout, et Dieu sait si c'est précieux par ce temps glacial ! Les confitures dont je parlais sont de fruits rouges, cerise et framboise. J'aime énormément la confiture d'oranges mais je ne me suis pas encore lancée dans l'aventure.

Je serai absente à partir de demain jusqu'à mardi matin, et comme d'habitude j'ignore si je pourrais venir pendant ce temps sur ce blog, alors voici au moins quelques "provisions" :  un texte de Stephen Leacock, d'un humour loufoque et décalé à la britannique que j'aime assez, j'espère qu'il vous plaira aussi. A bientôt.

"A cette époque-là, la chevalerie était en plein essor. Le soleil se levait à l'est, montait à son zénith puis, en certaines occasions, se couchait à l'ouest, illuminant de ses derniers rayons les tours du lugubre château de Buggensberg.
Iseult la Fine se tenait sur une tourelle crénelée du château. Elle tendait ses bras dans le vide, et son visage, où se lisaient l'angoisse et la tristesse, était tourné vers le ciel comme pour en implorer le secours.
A l'abri des regards indiscrets elle murmurait :
"Guido..." et un profond soupir soulevait sa poitrine. D'une beauté éthérée de sylphide, elle semblait à peine respirer.
D'ailleurs, elle respirait à peine.
Mince et élancée, elle était aussi gracieuse qu'un méridien. Son corps paraissait trop fragile pour pouvoir se déplacer. Sa constitution délicate lui interdisait même de songer au moindre effort intellectuel.
Elle était vêtue d'une houppelande d'un bleu profond, d'une lourde ceinture à fermoir d'argent, d'une gorgerette de dentelle et d'un vertugadin qui lui encerclait le cou. La coiffure à corne qu'elle portait ressemblait à un extincteur. Inclinée vers l'arrière, elle formait un angle d'environ 45 degrés avec son support.
- Guido, murmurait-elle, Guido...
Et, dans la détresse où elle se trouvait, il lui arrivait alors de tendre ses blanches mains en marmonnant :
- Il ne vient pas...
Le soleil se coucha et la nuit tomba, recouvrant de son ombre le sinistre château de Buggensberg et la vieille ville qui s'étendait à ses pieds. Comme l'obscurité s'épaississait, les fenêtres du château s'éclairèrent d'une lueur d'un rouge ardent, car c'était la fête de Noël et tout le monde festoyait dans la grande salle de réception. Et cette nuit-là, le seigneur de Buggensberg célébrait aussi les fiançailles d'Iseult sa fille, avec Tancred le Tacheté. Il avait convié tous ses vassaux et ses seigneurs liges - Hubert le Husky, Edward le Bouché, Rollo le Buvard et bien d'autres.
Pendant ce temps, dame Iseult s'était isolée sur les remparts et se lamentait de l'absence de Guido.L'amour d'Iseult la Fine et de Guido la Broche était d'une essence pure, presque divine, telle qu'on n'en trouve qu'au Moyen-Age.
Ils ne s'étaient jamais vus. Guido n'avait jamais vu Iseult, Iseult n'avait jamais vu Guido. Ils ne s'étaient jamais vus ni entendus. Ils n'avaient jamais été ensemble. Ils ne se connaissaient pas.
Cependant ils s'aimaient.
Leur amour était né soudainement, à la manière d'une révélation mystique (c'est ce que  l'amour peut offrir de mieux).
Des années plus tôt, Guido avait remarqué le nom d'Iseult peint sur une barrière.
Il s'était pâmé. Puis il avait pris la route de Jérusalem.
Ce même jour, Iseult, qui se promenait dans les rues de Gand, avait aperçu la cotte de mailles de Guido, pendue sur une corde à linge.
Elle était tombée dans les bras de ses suivantes plus morte que vive.
Depuis ce jour, ils s'aimaient.
Dès la première lueur de l'aube Iseult errait dans le château avec le nom de Guido sur les lèvres. Elle disait son nom aux arbres, elle le chuchotait aux fleurs. Elle le sussurrait aux oiseaux. Un grand nombre d'entre eux le connaissaient. Parfois, elle montait son palefroi et galopait sur une plage en criant aux vagues
"Guido !".
Guido et Iseult, bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés, chérissaient chacun le visage de l'autre. Sous sa cotte de mailles, Guido portait une miniature d'Iseult sculptée dans l'ivoire. Il l'avait trouvée au pied du rocher escarpé sur lequel avait été bâti le château, aux abords de la vieille ville de Gand.
Comment avait-il su qu'il s'agissait d'Iseult ?
Il n'avait pas eu besoin de se le demander.
Son coeur avait parlé.
Les yeux de l'amour ne peuvent être trompés.
Et Iseult ?
Elle aussi chérissait sous sa gorgerette une miniature de Guido la Broche. Elle l'avait dénichée dans le sac d'un chapelier itinérant et l'avait payée son poids de perles. Comment avait-elle su que c'était bien lui ? A cause du blason peint sous la miniature. Celui-là même qui l'avait tant émue sur sa cotte de mailles. Qu'elle soit endormie ou éveillée, toujours il lui apparaissait - écartelé au premier, un lion, debout sur fond de gueules ; au deuxième, troisième et quatrième, un chien, couché sur fond de blé noir.
Et si l'amour d'Iseult pour Guido brûlait d'une flamme unique, l'amour de Guido pour Iseult n'était pas  moins pur. A peine cet amour était-il entré dans le coeur de Guido qu'il s'était juré d'accomplir quelque grand fait d'armes, quelque action  glorieuse qui le rendrait digne de la courtiser.
Il se fit le serment de ne plus rien manger, à l'exception de nourriture, et de ne rien boire, à l'exception de spiritueux, jusqu'à ce qu'il ait réussi dans son entreprise. C'est ainsi qu'il se rendit à Jérusalem pour tuer un sarrasin en l'honneur d'Iseult. Il en tua un, de fort belle taille.
Toujours fidèle à sa promesse, il reprit la route et gagna les confins de la Pannonie : il était déterminé à tuer un turc par amour pour elle. Puis il chevaucha jusqu'aux Hautes Terres d'Ecosse et tua un Calédonien pour elle. Chaque mois et chaque année, Guido accomplissait quelque action glorieuse en l'honneur d'Iseult.
Et pendant ce temps, Iseult attendait.
Ce n'étaient pas les prétendants qui manquaient. Iseult en avait un grand nombre prêts à lui obéir au moindre geste. Des faits d'armes étaient accomplis chaque jour en son honneur. Pour mériter son amour, les prétendants s'étaient résolus à se sacrifier. Otto l'Outre s'était noyé dans l'océan. Conrad le Cocotier s'était jeté la tête la première dans la boue - depuis le plus haut rempart du château. Hugo le Désespéré s'était pendu par la ceinture à un noyer et refusait qu'on l'aide à en descendre. Siegfied le Susceptible avait avalé de l'acide sulfurique.
Mais Iseult la Fine dédaignait les hommages qui lui étaient ainsi rendus.
En vain sa belle-mère, Agathe l'Angulaire, l'avait pressée de se marier. En vain son père, le Margrave de Buggensberg, lui avait ordonné de choisir l'un ou l'autre de ses prétendants.
Inflexible, son coeur demeurait fidèle à La Broche.
De temps à autre, Guido envoyait à Iseult des gages de son amour : de Jérusalem il lui avait envoyé un bâton avec un noeud pour lui témoigner sa loyauté éternelle ; de Pannonie, il lui avait fait parvenir un morceau de planche et de Venise, un bout de bois de construction. Iseult les conservait précieusement. La nuit, elle les glissait sous son oreiller.
Puis, après des années d'errance, Guido se décida à couronner son amour d'un dernier exploit pour la dame de son coeur.
Il projeta de revenir à Gand et d'escalader de nuit la façade du château. Il prouverait son amour à Iseult en tuant son père et en précipitant sa belle-mère du haut des remparts. Puis il brûlerait le château et enlèverait sa belle.
Accompagné de cinquante compagnons dignes de confiance, placés sous les ordres de Carlo le Tire-Bouchon et Beowulf le Poinçon, il arriva enfin à Gand. Profitant de l'obscurité ils avancèrent jusqu'à la falaise du château. Lors, à quatre pattes et en file indienne, ils commencèrent à suivre les spirales du chemin qui menait aux portes de la forteresse. A six heures ils avaient parcouru une spirale. A sept heures, ils avaient entamé une deuxième boucle, et la fête battait son plein lorsqu'ils réapparurent une quatrième fois. Guido la Broche était en tête. Sa cotte de mailles était dissimulée sous un costume bariolé. Il tenait un cor dans sa main.
Il avait prévu de s'introduire par la poterne du château. Son déguisement lui permettrait ensuite de duper le Margrave et de lui subtiliser la clé de la Grande Porte. Il soufflerait alors dans son cor pour donner l'ordre de l'assault à ses compagnons. Mais il était inutile de se presser car c'était la fête de Noël cette nuit-là et le Margrave, fatigué des résistances d'Iseult, avait décidé de donner sa main à Tancred le Tacheté.
Le vin coulait à flots dans la salle de réception. Le terrible Margrave, assis en bout de table, vidait flacon sur flacon. Il ne cessait de porter des toasts à la santé de Tancred, son voisin tout en plumes et en armure.
Grande était la joie du Margrave car à ses pieds rampait un nouveau bouffon que le sénéchal venait d'introduire par la poterne. A chacune de ses pitreries le Margrave était secoué de violents éclats de rire.
- Par ma barbe ! - rugit-il - je n'avais jamais entendu cette histoire ! Et donc le conducteur dit au pélerin... Par Saint Pancras, raconte la moi encore que je puisse m'en souvenir !
Et le Baron tomba à la renverse, trop heureux de ce qu'il entendait.
Au même  moment Guido - car le bouffon déguisé n'était autre qu'icelui - c'est-à-dire lui - bondit et s'empara des clefs de la Grande Porte qui pendaient à la ceinture du Margrave. Puis, se débarrassant de son surcot et de sa coiffe de bouffon, il se dressa de toute sa hauteur dans sa superbe cotte de mailles.
D'une main il brandissait la masse à double tête du croisé et de l'autre, un cor.
Les convives se levèrent comme un seul homme, la main sur le pommeau de leur dague.
- Guido la Broche ! s'écrièrent-ils.
- Rendez-vous ! leur ordonna Guido, je vous tiens à ma merci.
Puis, collant l'embouchure du cor sur ses lèvres il prit une profonde inspiration et souffla de toutes ses forces. Puis il souffla encore. Il souffla comme jamais il n'avait soufflé.
Aucun son ne sortit.
Le cor ne sonnait pas !
- Attrapez le ! cria le Baron
- Arrêtez ! dit Guido. J'en appelle aux loi de la chevalerie. Je suis venu chercher Dame Iseult que vous avez promise à Tancred. Qu'on me laisse affronter Tancred d'homme à homme en combat singulier.
L'assemblée reçut son défi avec des cris d'enthousiasme.
L'affrontement fut terrible.
D'abord Guido, levant à deux mains sa masse au-dessus de sa tête, l'abattit avec une force monstrueuse sur la tête de Tancred et lui rompit toutes les mailles de la coiffe jusqu'à la ventaille. Puis Guido s'immobilisa et Tancred, levant sa masse à son tour, l'abattit sur la tête de Guido. Tancred lui tourna alors le dos et attendit que Guido lui balance un terrible coup de massue par derrière, à mi-hauteur, dans le dos. Tancred lui rendit la pareille. Puis Tancred se mit à quatre pattes et Guido lui asséna un nouveau coup dans le dos, encore plus terrible que le précédent. C'était un fort bel affrontement, où le talent et l'agilité trouvaient à s'exprimer. Pendant un moment, l'issue fut incertaine. Puis l'armure de Tancred commença à plier. Ses coups faiblirent et il glissa à terre. Guido profita de son avantage et l'aplatit comme une boîte de sardines. Puis après avoir posé le pied sur le torse de son adversaire, il leva sa visière et regarda autour de lui.
On entendit alors un cri déchirant.
Iseult la Fine, alarmée par le bruit des coups, s'était précipitée dans la salle.
Les deux amants se dévisagèrent un long moment.
Ils semblèrent alors gagnés par un terrible malaise et chacun, dans une direction opposée, tourna de l'oeil.
Il y avait eu maldonne !
Guido n'était pas Guido et Iseult n'était pas Iseult. Les miniatures les avaient induits en erreur. Chacune d'elles représentait le portrait de quelqu'un d'autre.
Des torrents de remords se déversèrent dans le coeur des deux amants.
Iseult songea au malheureux Tancred, devenu aussi plat qu'une carte postale et perdu pour le métier de vivre. A Conrad le Cocotier, planté la tête la première dans la boue.
Guido pensait aux Sarrasins morts et aux Turcs égorgés. Et tout ça pour rien !
Leur amour était bien mal récompensé. Chacun d'eux n'était pas celui que l'autre imaginait. Ainsi en va-t-il des amours en ce monde. L'allégorie médiévale rapportée dans ce récit ne fait pas exception.
Les coeurs des deux amants se brisèrent à l'unisson. Ils expirèrent.
Pendant ce temps Carlo le Tire-Bouchon, Beowulf le Poinçon et leurs quarante huit compagnons parcouraient en sens inverse, à quatre pattes et le plus vite possible les spirales qui les avaient menés au château.

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