un dragon pour St Ex

24 novembre 2009

- Qu'est- ce qu'un chalumeau ?

- Un dromaludaire.

D'accord, d'accord, j'arrête ! C'est la faute du chalumeau, il y en a un dans l'histoire qui suit (qui m'a été inspirée, évidemment, par "Le Petit Prince" de Saint Exupéry mais aussi par "Le dragon blanc" (La ballade de Pern, Anne McCaffrey, Presses Pocket) et ça m'a rappelé cette petite blague que j'aime bien.

UN DRAGON POUR ST EX

"Dessine-moi un mouton" dit le Petit Prince.

- Dessinez-moi un dragon, dit la dame.

- Mais ton dragon va manger mon mouton, protesta le Petit Prince, un peu choqué de cette intrusion cavalière.

- Pas si tu l'apprivoises avant, répliqua la dame.

- Je n'ai jamais apprivoisé de dragon, objecta le Petit Prince.

- Tu n'avais jamais apprivoisé de renard non plus.

Il la scruta d'un regard aigu. Comment savait-elle déjà cela alors qu'il n'en était qu'au tout début de son histoire ? Il finit pourtant par convenir :

- C'est vrai. Mais un dragon c'est beaucoup plus gros. Et ça crache le feu !

- Pas tout le temps. Et puis ici, c'est le désert, rien ne peut brûler...

- Rien sauf nous ! intervint avec indignation l'aviateur, se manifestant pour la première fois. De toute manière je ne suis pas ici pour dessiner un dragon ! Un mouton oui, mais un dragon ça n'a jamais été
prévu !

- Vous êtes sûr ? demanda la dame, qui le savait fort bien.

- Evidemment, c'est moi l'auteur !

- Oh ! s'exclama la dame qui s'en doutait un peu, dans ce cas, tous mes compliments, c'est une très belle histoire.

- Vous trouvez ?... Mais... comment le savez-vous d'abord, elle n'est pas encore terminée!

- Dans mon univers elle l'est depuis longtemps. Et croyez-moi, elle en fait rêver des petits princes et des petites princesses, même quand ils sont devenus grands !

Touché, l'aviateur-auteur se radoucit.

- C'est très gentil ce que vous dites. Mais je suis désolé, il n'y a quand même pas de dragon dedans.

- Je le sais bien, sourit la dame, mais cela ne coûte rien d'essayer, n'est-ce-pas ?

Elle soupira

- J'ai encore dû mélanger mes rêves. Je vais continuer à chercher. Désolée de vous avoir interrompus.

- J'aurais bien aimé voir un dragon, moi, murmura le Petit Prince.

- Mais... attendez un peu ! s'écria brusquement l'aviateur en se frappant le front du plat de la main, signe, comme chacun sait, d'une inspiration géniale, c'est pourtant vrai qu'un dragon ça crache le feu ! Et j'ai justement une pièce là, qui a besoin d'être ressoudée... mais je n'ai pas de chalumeau... vous voyez ce que je veux dire ?

- ???.... Oh, mais oui ! splendide ! C'est une superbe idée ! s'écria la dame.

- Adoptée ! Je vous dessine votre dragon, il ressoude ma pièce, et dès votre départ, je dessine son mouton au petit.

- C'est le dragon qu'il faudra dessiner petit, remarqua finement le Petit Prince, sinon il va tout carboniser parce que je ne crois pas qu'on puisse régler sa flamme !

- Un dragon à flamme réglable ! Amusant, ça, il faudra que je creuse... mais tu as tout-à-fait raison...Ça ne vous ennuie pas un dragon de poche ? demanda-t-il à la dame.

- Absolument pas ! Pourvu que ce soit un vrai beau dragon et pas une peluche de cinéma.

- Pardon ?

- Ne faites pas attention. Dessinez à votre idée, je suis certaine que ce sera parfait.

- Merci. Je vous demande un instant.

Sortant d'on ne sait où une feuille blanche et des crayons, il croqua en quelques traits rapides un dragon sublime, à la fois puissant et délicat comme une statuette asiatique, aux écailles sombres et luisantes, aux ailes transparentes accrochant tous les reflets du soleil... et minuscule.

- Quelle merveille !
- QU'IL EST BEAU !!!

s'extasièrent simultanément la dame et le Petit Prince.

Le dragonet, un peu étourdi, secoua la tête, agita faiblement ses ailes, et le Petit Prince tira précipitamment l'aviateur derrière son appareil en soufflant :

- Il faut d'abord qu'il voie la dame toute seule, sinon elle ne pourra pas l'apprivoiser.

Il était temps. L'animal étira le cou, et après un ou deux clignements, fixa son regard doré sur la dame immobile à quelques pas de lui, qui lui envoyait toutes les plus belles pensées d'amour et d'admiration que son cœur puisse former.

Et CELA se produisit. Il avança vers elle en chancelant, et vint frotter sa tête rugueuse contre sa hanche. Instinctivement, elle chercha un repli de peau tendre qu'elle se mit à gratter doucement en murmurant des mots d'affection, récompensée par un ronronnement immédiat.

- Bravo ! s'écria, enchanté, le Petit Prince en surgissant hors de son abri. Tu as réussi à l'appriv..."

- WOOSSSHHH !

Un jet de feu, mince mais tout aussi efficace qu'un grand, vint s'écraser juste à ses pieds.

- Dragon, non ! s'écria la dame en lui donnant une petite tape sur le mufle.

- C'est ma faute, je suis désolé ! plaida le Petit Prince. Je lui ai fait peur en me précipitant devant lui.

- Sans doute. Mais il doit apprendre à se contrôler, répondit la Dame.

- ... Je peux sortir ?" interrogea l'aviateur-auteur-dessinateur, toujours prudemment retranché derrière son appareil.

La dame posa une main sur l'encolure du dragon et intima "Sois sage", puis répondit : "Je crois que oui. Mais doucement".

- Pas de problème.

L'aviateur avança précautionneusement la tête hors de sa cachette, puis une épaule, une jambe, enfin il fut visible tout entier, encore peu rassuré. Mais le dragon se contenta de l'observer.

- Bon, dit la dame, où est-elle cette pièce cassée ?

- Ah oui ! C'est là, vous voyez ? Vous croyez qu'il y peut quelque chose ?

- Nous allons le savoir tout de suite. Dragon ?

Le petit animal darda sur elle son regard d'or.

- Regarde ma merveille, là tu peux cracher tant que tu veux. Fssshh!!

Il ne se le fit pas dire deux fois et un jet d'une rare précision fusa sur l'endroit indiqué.

- Bien ma beauté !! Ça va ?

- C'est parfait ! s'écria l'aviateur après un coup d'œil. Par-fait ! Un spécialiste n'aurait pas fait mieux ! ajouta-t-il en levant le pouce en direction du dragon.

- Maintenant tu dois le gratter, affirma gravement le Petit Prince.

- Tu crois vraiment ?

- Il t'a bien aidé. C'est le moins que tu puisses faire.

- Tu as raison, évidemment, convint l'aviateur, pas enthousiaste pour autant. Il s'approcha lentement, leva une main hésitante et trouva la jointure entre deux écailles. Agréablement surpris par la chaude douceur de la peau, il commença à la caresser en murmurant :

- Merci mon vieux; tu m'as rendu un fier service.

Un ronronnement satisfait lui répondit.

- Bon, intervint la dame quelques instants plus tard. Nous allons vous laisser maintenant. Il faut que le Petit Prince ait son mouton.

- Quel dommage de nous séparer si vite ! se désola le Petit Prince.

La dame l'embrassa.

- Nous nous retrouverons, au détour d'un rêve... ou d'une page !

L'auteur cessa - à regret réciproque - de gratter le dragonet.

- Au revoir, mon bijou.

Le souffle tiède de l'animal lui caressa le visage.

Le Petit Prince s'approcha et posa la joue contre le mufle frémissant.

- Au revoir. Chaque fois que je verrai une flamme, je penserai à toi.

Il recula. Un dernier signe de la main puis l’animal et la femme s'évanouirent, laissant flotter dans l'air un claironnement d'adieu.