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Ecrire de plaisir
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1 novembre 2009

Comme disait Agatha...

Pour vous tous, en cette fête qui est la nôtre, un texte, et un souvenir.

LA, ELLE DANSAIT...

Dans la tiédeur de cette nuit d’été, je parcours Avignon endormie, m’appliquant à marcher d’un pas régulier, à respirer lentement, comme lors des randonnées que j’affectionne, m’appliquant surtout à discipliner la joie absurde qui bouillonne en moi et ne demanderait qu’à s’échapper en une danse échevelée. Eh oui, ce soir, mes 120 kg d’ordinaire empêtrés ont une envie folle de danser. Et pourtant...

Il y a quelques heures à peine je fixais d’un air hagard cette boîte qui me ravissait pour toujours mon aimée, ma vie, ma Solange. Et rentrais chez moi en tempête pour maudire le ciel.

4 ans de bonheur absolu puis brutalement ce malaise, le coma, la mort. Une hébétude totale dans laquelle je sombrai comme en un marécage, laissant à mon cerveau le soin de veiller aux paroles, aux gestes, aux démarches nécessaires. Les voisins précieux, présents et efficaces avec une discrétion dont je vais pouvoir, à présent, les remercier.

Et puis l’enterrement. Je me suis enfui en courant du cimetière avant la fin, j’ai verrouillé toutes les portes et dans la chambre j’ai tout cassé, déchiré, renversé, tour à tour hurlant des blasphèmes et coulant dans un silence quasi comateux.

C’est à Avignon que je l’avais rencontrée, plus exactement admirée, pour la première fois.

Bien qu’habitant à peine à 3 kms de la ville, je n’assistais jamais à ses multiples événements artistiques, préférant de loin la compagnie d’un bon livre ou d’un film choisi. Je n’aime pas le public, frère à peine moins insupportable de la foule. Mais cette année-là, l’ami que je recevais pour les vacances, passionné de chorégraphie, mourait d’envie d’assister aux spectacles de danse sacrée de la compagnie Golovine. Malgré ma réticence (de la danse ! Et sacrée en plus !), je m’étais donc fait un devoir de l’accompagner, me préparant à m’ennuyer ferme, et m’étais retrouvé sans préavis suspendu au moindre mouvement d’une merveille blonde en longue robe beige. Le spectacle en lui-même ne m’a laissé aucun souvenir, ni les autres danseurs. N’existaient plus que cette silhouette d’une grâce aérienne et ce sourire lumineux.

Déterminé à la revoir, à lui parler, je proposai à mon ami stupéfait et ravi de prendre des places pour les trois autres spectacles donnés par la troupe. Mais vint le dernier jour, je n’avais encore pu aborder mon apparition.

Le Destin, ou la Providence, résolut de m’aider. Nous avions décidé de dîner en ville avant le ballet, et dès l’entrée du restaurant, son visage me frappa de plein fouet. Elle conversait avec deux amies.  Elle dut sentir mon regard rivé sur elle, car elle releva brièvement la tête et me dédia un sourire charmant avant de reprendre son bavardage. Terrassé, imbécile, muet, je me laissai tirer par mon ami vers une autre table, asseoir je ne sais comment, et ne retrouvai - imparfaitement - mes esprits qu’en me sentant secouer plutôt rudement :

“Eh ! redescends ! ça fait une heure que le garçon attend ta commande !”

Je balbutiai : “la même chose que toi”. Si l'on m'avait servi du ciment arrosé d’encre, je m’en fusse délecté. Ma vie était ailleurs, entre les mains d’un ange qui ne s’en doutait pas.

Heureusement pour moi, le Dieu qui l’habitait prit pitié de ma misère et fit sortir le trio juste sur nos pas. En m’effaçant pour la laisser passer j’énonçai platement :

“Vous faites partie de la troupe de Catherine Golovine”

“Mais oui !”

“J’ai vu tous les spectacles”

“Vous aimez donc tant la danse ?” demanda-t-elle avec un brin de malice.

Je faillis répondre “c’est vous que j’aime” mais parvins à balbutier, sous le regard narquois de mon ami “celle-là, oui”

Un flamme alluma son regard :

“N’est ce pas qu’elle est différente ! C’est pour cela que je continue. La danse, c’est ma vie, mais cette danse, c’est Sa vie”

Et tout naturellement elle montra le ciel de ses mains levées en coupe, comme pendant le ballet.

Tout commentaire était superflu ; nous fîmes le reste du chemin en silence. Ecrasé, je songeais : ‘et dans ces vies mélées, moi, je n’ai pas de place’. Avant de nous quitter, elle dit soudain : “ce soir, après le spectacle, nous nous retrouvons tous au restaurant de tout à l’heure. Vous serez les bienvenus”. Mon ami remercia avec effusion. Je souris avec effort. A quoi bon...

Quelques mois après, nous étions mariés.

Et quatre ans plus tard, en quelques jours, Celui qui me l’avait donnée me l’arrachait, sans sommation, pour jamais. Je L’implorais de me la rendre, ou de me prendre moi aussi, de ne pas me laisser seul dans ce monde vide et froid qui avait perdu son sens, je Le sommais de m’expliquer, de Se justifer, Je l’insultais, je le défiais :

“Tu as fait semblant de me la donner, c’est ça ? Mais tu entendais bien la reprendre, Tu étais jaloux, Tu ne supportais plus de la partager avec moi, tu la voulais pour toi tout seul, hein ? Tu voulais la punir, pour toutes ces années où elle m’a aimé, où elle m’a rendu heureux, où elle a été heureuse avec moi ! Tu te rappelles ce qu’elle disait ? Ma danse, c’est Sa vie, notre amour, notre bonheur, c’est Sa vie aussi, tout est amour, et tout est Vie car tout est Lui. Tu parles ! où elle est la vie, maintenant ? où il est l’amour ? Fini, terminé ! Dans le trou, la beauté ! dans le noir, la lumière, Il n’y a plus rien ! Plus rien ! Elle s’est trompée. TU l’as trompée ! Prouve-moi donc le contraire, si Tu en es capable ! "

Enfin, saoulé de fureur impuissante et de chagrin, je m’endormis à même le sol.

Je fus réveillé par une grande lueur. Je me dressai péniblement en jurant, pensant que j’avais oublié d’éteindre la lumière dans une pièce. Puis je me rendis compte que cette lueur venait de l’extérieur. C’était la pleine lune, comme le soir du spectacle où j’avais vue Solange pour la première fois. Le coeur serré, je m’approchai de la fenêtre, collai mon front enfiévré contre la vitre...et retint un cri de saisissement : Elle était sur la pelouse, telle que je l’avais contemplée une dernière fois quelques heures auparavant. Pied nus dans la longue robe beige, sur laquelle scintillait sa broche en étoile, mon cadeau de mariage, que j’avais épinglée moi-même ce matin. Et là, me dédiant son lumineux sourire, sa bouche rythmant de « Je t’aime » ses mouvements d’une grâce infinie, elle dansait.

Et le souvenir, réveillé par une émission sur L'artiste Christian Boltanski et ces extraordinaires"archives des  battements de coeur" qu'il est en train de constituer, c'est la dernière scène du merveilleux (à tous les égards) film de Marcel Carné "Les Visiteurs du soir", où les coeurs des deux amants que le diable vient de transformer en statue continuent à battre obstinément à travers leur prison de pierre.

Agatha Christie avait bien raison "La mort n'est pas une fin"

Beau dimanche !

g0ehjog5

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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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