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Ecrire de plaisir
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27 septembre 2011

La déesse dans l'arbre - Deuxième partie.

- Padi, tu n’es qu’un fainéant ! s’exclama le commissaire

- J’ai porté le même nombre de briques que les autres.

- C’est à moi d’en juger ! Tu es lent et endormi !

-Je n’ai même pas droit à une pause, après le déjeuner…

- Tu oses te plaindre !

Padi baissa la tête :

- J’essaye de travailler au mieux.

- Et bien, ce n’est pas du tout satisfaisant ! Pour être aussi fatigué, ne passerais-tu pas tes nuits avec une fille ?

- Bien sûr que non. Demandez à mon camarade Ioumès, nous dormons dans la même cabane.

- Je vais l’interroger.

Convoqué par le contremaître, Ioumès ne trahit pas son ami. Il affirma qu’il ne quittait pas la cabane du crépuscule au levant, et que ni lui ni Padi ne fréquentaient les filles. Les os rompus par leur labeur respectif, ils ne songeaient qu’à dormir.

- Je t’ai sauvé de la bastonnade, rappela Ioumès à Padi ; tu me dois la vérité.

- C’est mon secret.

- Fais-tu quelque chose de mal ?

- Non. Je t’assure que non.

- Alors pourquoi tant de mystères ?

- Je ne peux rien te dire.

- Je comprends ! C’est la plus belle fille du village et tu ne veux pas partager. Méfie-toi Padi si tu te fais prendre, ce sera l’esclavage.

 

Ioumès réveilla Padi et fit semblant de se rendormir. Mais cette fois il était bien décidé à le suivre. Fallait-il que son amoureuse fût belle et ardente pour que son camarade se privât ainsi de sommeil au point de tomber malade !

L’entreprise se révéla plus malaisée que le curieux ne l’avait imaginé. Doté d’une énergie inépuisable, Padi courait vers son but sans se retourner. Ioumès avait réglé son allure sur la sienne, mais ses poumons le brûlaient, et il redoutait à chaque instant de marcher sur un scorpion ou d'être mordu par un serpent.
Quand Padi s'engagea dans le désert, Ioumès sentit ses cheveux raidir et un frisson lui parcourut tout le corps. S'y aventurer à son tour, c'était risquer de rencontrer d'énormes monstres ailés aux gueules béantes qui se nourrissaient des imprudents et des égarés. Mais s'il perdait Padi de vue, il ne connaîtrait jamais son secret.
Trempé de sueur, Ioumès continua.
Pas une seule fois son camarade n'hésita sur le chemin à suivre, comme si le désert était son royaume. En mettant ses pas dans ceux de Padi, Ioumès évita les trous, les pierres coupantes et les plaques de sable mou.
Enfin Padi s'arrêta.
A bonne distance, Ioumès put s'asseoir, reprendre son souffle et contempler un surprenant spectacle.
Au coeur de la solitude se dressait un sycomore, plus beau et plus grand que tous ceux qu'avait déjà vu Ioumès.  Padi se tenait tout près du tronc et semblait lui parler.
C'était un fameux secret, en effet ! Et Ioumès comprit vite pourquoi son camarade ne désirait pas lui faire partager un tel trésor.
Quand Padi pénétra dans la cabane, Ioumès ne s'y trouvait pas.
- Je suis derrière toi, dit la voix piquante de son camarade.
Padi se retourna.
- Tu... tu m'as suivi ?
- J'ai eu ce courage et je ne le regrette pas. Je l'ai vu ton sycomore ! Félicitations Padi ; grâce à lui tu va faire fortune. Mais je veux ma part.
- Je ne comprends pas...
- Ne fais pas l'idiot ! Le menuisier du village est un brave homme. Il nous aidera à établir notre acte de propriété sur cet arbre que nous avons découvert en plein désert. Je suis sûr que son bois est exceptionnel et que nous le vendrons un très bon prix ! Tu imagines le nombre de meubles et de cercueils pour les riches ? Nous aussi, nous allons le devenir et nous quitterons ce village. Comme nous nous amuserons à la ville !
- Tu ne veux pas...abattre ce sycomore ?
- A nous deux nous y parviendrons. Pense que chaque coup de hache nous rapprochera de la fortune !
- Où se trouve Padi ? demanda le contremaître aux manoeuvres.
Personne ne répondit.
- Cette fois c'en est trop ! J'avertis la police.
Refuser la corvée était un crime. Le policier grec ne présenterait même pas le déserteur devant le tribunal du village ; il l'enverrait aux travaux forcés dans lesmines du Grand Sud, ce qui équivalait à une condamnation à mort.
Encore fallait-il mettre la main sur le fuyard, mais le Grec n'était guère soucieux : Ioumès savait forcément où se cachait son camarade, et il ne résisterait pas à la torture.
Le Grec ne se trompait pas. Ioumès parla d'abondance, il décrivit le grand sycomore et pour éviter la bastonnade, proposa même de conduire le policier et ses sbires à l'endroit où Padi se rendait chaque nuit.
Le soleil brillait au zénith. Padi s'était assis à l'ombre du feuillage. Grâce aux jeux de lumière, il distinguait mieux encore les traits de la jeune déesse.
- Mon ami m'a trahi, révéla-t-il. Quand il a vu l'arbre, il n'a songé qu'à la richesse qu'il pourrait en tirer. S'il t'avait vue, toi...
- Impossible, son regard ne peut apercevoir qu'un tronc, des branches et des feuilles.
- Ce matin, je ne me suis pas rendu à la corvée. On m'accusera de désertion et le policier grec me cherchera partout. Mais il y a bien pire... Si Ioumès révèle l'existence du sycomore, ils viendront ici pour le couper !
- C'est bien leur intention en effet.
- Je te défendrai !
- Seul contre eux, tu seras massacré.
- Alors, laisse-moi venir dans l'arbre avec toi, laisse-moi t'embrasser !
- Si je t'offre l'eau du ciel, Padi, tu ne reverras ni ton village ni tes amis.
- Je me moque de mon village et je n'ai plus d'amis ! C'est toi que j'aime, je veux te prendre dans mes bras et ne plus faire qu'un avec toi.
- Notre amour sera semblable aux rayons du soleil, au doux vent du nord, à la crue du Nil, mais il n'aura plus forme humaine.
L'une des branches du sycomore se transforma en une main aux longs doigts élégants et fins, qui offrit à Padi un vase contenant de l'eau fraîche.
Sans hésiter, il la but.
Mais cette eau ne mouillait pas. Elle n'avait que l'apparence d'un liquide parcouru d'ondes lumineuses qui environnèrent le garçon et le portèrent à l'intérieur du sycomore.
Pendant un instant, Padi sentit contre son corps celui d'une femme jeune, belle et désirable dont l'amour était si vaste qu'il devient un million d'étoiles.
- C'est là, affirma Ioumès, j'en suis sûr !
Le policier grec et ses sbires, armés de gourdins,scrutèrent les environs.
- Tu te moques de nous ! Il n'y a que le désert à perte de vue...
- Croyez-moi, le grand sycomore était bien là ! Il avait un feuillage abondant et un tronc superbe qui brillait sous la lune. Et il aurait donné une énorme quantité de bois au menuisier !
- Ou bien tu mens ou bien tu es fou, jugea le Grec. Aucun arbre ne pourrait pousser dans ce coin-là. Puisque tu as voulu protéger un déserteur, tu paieras à sa place, jusqu'à ce que nous le retrouvions.
- Non, non, je vous jure que j'ai dit la vérité !
- Faites-le taire et qu'on le conduise aux mines.
Si le policier avait fait trois pas de plus, il aurait aperçu, entre deux monticules de sable ocre, une minuscule pousse de sycomore.
Mais la petite troupe tourna le dos au désert et reprit le chemin du village pendant que le nouvel arbre lentement, très lentement, commençait à croître.
                                

 

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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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