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Ecrire de plaisir
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27 septembre 2011

La déesse dans l’arbre - Première partie

Une histoire que j'ai trouvée dans un recueil de nouvelles, "Histoires de..." publié en 2001 par Frande Loisirs

Elle a été écrite par Christian Jacq en 2000. Comme elle est un peu longue, je la scinde en deux parties.

 "Padi avait quinze ans et il gardait un troupeau de chèvres à la lisière du désert, dans un endroit perdu de Haute-Egypte, loin du village. Depuis plus de cinq ans, il remplissait cette tâche ingrate pour un maigre salaire, à savoir du pain, des légumes, des dattes et de l’eau, mais il n’avait pas eu le choix : son père avait été enrôlé de force dans l’armée grecque qui occupait l’Egypte et il ne l’avait jamais revu. Désespérée, sa mère était morte de chagrin. Padi devait même s’estimer heureux : il aurait pu être réduit à la condition d’esclave qui n’existait pas au temps des pharaons et qui avait été imposée par les nouveaux maîtres du pays, habitués à vendre des hommes et des femmes considérés comme des marchandises.

Plus personne ne croyait que la terre aimée des dieux recouvrerait un jour sa liberté. Après ces envahisseurs-là en viendraient d’autres, peut-être plus cruels encore. Au village, on ne parlait que des impôts à acquitter, plus lourds d’année en année. La part des récoltes prélevées ne cessait de croître, afin que la cour corrompue d’Alexandrie puisse faire la fête pendant que la population trimait dur et gagnait peu.

Mais Padi était indifférent aux récriminations. Son domaine à lui c’était le désert, ce monde étrange brûlé de soleil où l’on ne s’aventurait guère de peur d’être la proie des redoutables créatures qui y rôdaient.

Pendant que les chèvres se régalaient en mastiquant des épineux, Padi s’asseyait et regardait le sable ocre que le vent modelait à sa guise, formant des dunes dont le jeune garçon observait les moindres ondulations.

La chaleur du printemps était accablante, mais elle n’indisposait ni le chevrier ni ses bêtes qui savaient se contenter de peu pour survivre.

Soudain le ciel se voilà. D’immenses nuages marron masquèrent le soleil et prirent possession de l’espace. Le vent de sable…D’ordinaire, Padi pressentait sa venue et avait le temps de regagner le village pour se mettre à l’abri. Cette fois, en raison de la rapidité du phénomène il avait été pris au dépourvu. Dans moins d’un quart d’heure il n’y verrait plus à un mètre et il serait incapable de s’orienter.

Alors il décida de rester assis. Puisque le désert était son allié, pourquoi lui ferait-il du mal ?

Quand les bourrasques tourbillonnantes chargées de sable lui cinglèrent le corps, le jeune garçon n’eut pas peur.

 

Une corne s’enfonça doucement dans le flanc de Padi. La plus vieille chèvre, la maîtresse du troupeau, avait survécu et le regardait d’un œil vif et joyeux. Le paysage avait changé, Padi ne le reconnaissait plus. Face à lui, sur un petit monticule se dressait un grand et majestueux sycomore.

Le chevrier avait parcouru la région dans tous les sens et nulle part il n’existait un arbre de cette taille-là ! Haut d’une quinzaine de mètres, le sycomore avait un tronc blanchâtre, une frondaison étalée et des feuillles ovales. Il donnait des figues amassées en grappes qui, à maturité, devenaient rouges. Surtout, il offrait une ombre si bienfaisante qu’il régnait en maître dans les jardins et sur les places des villages.

Mais ici, dans ces solitudes battues par un vent violent, comment avait-il réussi à s’épanouir ?

Aussi intrigué que fasciné, Padi s’approcha. Le bruissement des feuilles avait la douceur du miel, et la vie lui sembla soudain facile, dépourvue de souffrance et d’angoisse.

Lorsqu’il toucha le tronc, le jeune garçon fut stupéfait. Il était dépourvu d’aspérité et soudain, il se mit à frémir, comme animé d’une vie secrète.

Effrayé, Padi recula.

Alors il la vit.

Une merveilleuse jeune fille, dont le corps gracieux et longiligne se confondait avec l’arbre ! Son visage était d’une incroyable finesse, elle ne devait pas avoir plus d’une quinzaine d’années. Vêtu d’une robe blanche à bretelles, le cou orné d’un collier de turquoise et de jaspes, elle souriait.

Padi en tomba éperdument amoureux.

Lui qui n’avait accordé qu’une attention distraite aux filles du village, dont certaines étaient pourtant entreprenantes, découvrait la splendeur et la magie d’un corps de femme.

- Qui es-tu ? lui demanda-t-elle

- Padi le chevrier.

- Comment m’as-tu trouvée ?

- Il y a eu une tempête de sable, je n’ai pas bougé… et te voilà !

Les yeux de la jeune fille exprimèrent une grande tendresse.

-Tu te trompes, Padi. Pour parvenir jusqu’à moi tu as parcouru un chemin long et difficile. Et si tu n’avais pas un regard pur, tu ne me verrais pas.

- Tu es belle, si belle ! Resteras-tu longtemps à cet endroit ?

- Ce sycomore est ma demeure, je ne la quitte jamais.

Padi était heureux.

La contempler, emplir son regard de ses formes parfaites, sentir son cœur s’élargir comme s’il battait pour la première fois !

Mais le soleil se couchait et il fallait rentrer au village. C’est alors que le chevrier s’aperçut que ses bêtes s’étaient éparpillées et qu’il serait bien difficile de les rattraper.

 

Ce fut le policier grec chargé de la sécurité du village qui châtia lui-même Padi à coups de bâton. Le garçon hurla de douleur mais garda son secret : il ne parla que de la tempête de sable, si subite qu’elle l’avait empêché de sauver toutes les chèvres. Deux étaient mortes, trois avaient disparu.

- Tu passeras plusieurs années à travailler pour rembourser ce que tu as perdu, prédit le policier. Un voyou de ton espèce mériterait d’être envoyé à la ville comme esclave… Là-bas on te dresserait !

Padi se maîtrisa. S’il protestait, s’il montrait sa peur, son tortionnaire mettrait sa menace à exécution. Au garçon de passer pour un paysan soumis et borné, tellement stupide qu’il ne ferait même pas un bon esclave dans une riche demeure citadine.

- Dès demain, tu te mettras à la disposition du maire. Va-t-en, tu m’ennuies.

Padi se traîna plus qu’il ne marcha jusqu’à la cabane en roseau qu’il partageait avec un autre orphelin, Ioumès, un garçon rieur toujours prêt à s’amuser.

- Tu es dans un drôle d’état, Padi ! Il faut aller tout de suite chez la guérisseuse !

- Non, ça ira.

- Ne te prends pas pour un colosse. Viens, je t’emmène.

A bout de forces, Padi se laissa soutenir par son camarade.

 

La guérisseuse habitait une petite maison blanche entourée d’un jardin où elle cultivait des plantes médicinales. On avait peur d’elle, car cette femme autoritaire et sans âge ne se mêlait pas aux conversations des maîtresses de maison lorsqu’elles puisaient de l’eau, mais chacun avait recours à elle lorsque la maladie frappait. La guérisseuse considéra le blessé d’un œil inquisiteur.

- Qui t’a frappé, Padi ?

- Le policier grec.

- As-tu commis une faute grave ?

- A cause de la tempête de sable, j’ai perdu des chèvres.

- Allonge-toi sur la banquette de pierre. Je vais t’enduire le dos avec des onguents et tu ne ressentiras plus aucune douleur.

Une douce chaleur émanait des mains puissantes de la guérisseuse. Et lorsque les onguents pénétrèrent dans sa chair, le garçon oublia le mauvais traitement dont il avait été la victime.

Tu connais bien le désert, Padi. Comment t’es-tu laissé surprendre ?

- La tempête a été si subite, je n’ai pas eu le temps de réagir.

- C’est donc une divinité qui l’a provoquée afin de t’apparaître. Et tu l’as vue, n’est-ce pas ?

Padi demeura muet.

- Méfie-toi, recommanda la guérisseuse. Le désert est peuplé de créatures étranges qui cherchent à capturer l’âme des humains. Si tu as rencontré une très belle déesse au sourire enchanteur, il s’agit de la maîtresse du ciel qui accueille l’âme des justes et leur offre de l’eau fraîche pour l’éternité. Mais elle ne se manifeste que dans un grand sycomore au doux feuillage, et il ne peut pas exister un arbre comme celui-là à l’endroit où tu emmènes tes chèvres.

 

Le maire, qui collaborait avec l’occupant grec, obligeait les jeunes gens du village à transporter les briques qui serviraient à la construction de sa nouvelle maison. Ceux qui se plaignaient des conditions de travail étaient envoyés aux champs où les métayers les traitaient de manière encore plus rude. Padi suivit le rythme et se contenta de la médiocre nourriture qui lui fut offerte. Dès latombée de la nuit il sortit du village pour s’aventurer dans le désert où personne ne le suivrait. Chacun redoutait les mauvais génies et les monstres assoiffés de sang, sans oublier serpents et scorpions qui sortaient de leurs cachettes au crépuscule.

Padi risquait la mort à chaque pas, mais il s’en moquait. A quoi bon vivre, s’il ne retrouvait pas la déesse dans l’arbre, la femme merveilleuse dont il était amoureux ! Courant jusqu’à perdre haleine, rapide comme la brise du soir, le garçon n’hésitait pas un instant sur le chemin à suivre.

Le grand sycomore brillait sous la lune, le soleil de la nuit.

Padi s’approcha, admiratif et recueilli. Il ne discerna que le tronc de l’arbre, ses branches, son feuillage… mais pas la déesse ! Le cœur serré, au bord des larmes, il s’agenouilla pour implorer sa présence.

Et le miracle se reproduisit.

Le tronc de l’arbre se transforma en un délicat corps de femme, puis son visage se dessina avec précision.

Elle était encore plus belle que dans le souvenir de Padi.

- Tu es la maîtresse du ciel, n’est-ce pas ?

Elle sourit avec une douceur infinie.

- Qui te l’a appris ?

- La guérisseuse qui m’a soigné. J’ai été puni parce que j’ai perdu des chèvres. Quelle importance, puisque tu es toujours là !

- Je te l’ai dit, je ne quitte jamais ce grand arbre. Tant que tu souhaiteras me rencontrer, tu parviendras à me voir, toi et personne d’autre.

- Acceptes-tu de me parler des étoiles et de leur danse, là-haut, si loin de nous ?

La nuit durant, Padi posa mille questions à la jeune femme qu’il aimait et écouta sa voix enchanteresse lui révéler les secrets du cosmos.

 

Un couffin rempli de briques sur les épaules, Padi buta sur une grosse pierre qu’il n’avait pas remarqué et il s’étala de tout son long sur le sentier. Par chance, aucune des briques ne se brisa dans sa chute. Il ne subirait donc pas une nouvelle remontrance du contremaître qui le surchargeait de travail.

Fatigué par sa nuit blanche, Padi n’avait pas droit à un instant de repos. Dernier arrivé dans l’équipe des manœuvres, il ne pouvait pas compter sur ses collègue, qui ne lui apporterait aucune aide et seraient prompts à dénoncer son manque d’ardeur à la tâche.

C’est en pensant à la déesse dans l’arbre que Padi parvint à surmonter l’épreuve. Quand il regagna sa chambre à la fin du jour il titubait de sommeil.

- J’ai besoin de dormir un peu, avoua-t-il à son ami Ioumès. Mais promets-moi de me réveiller dès que la nuit aura recouvert les collines.

- Pourquoi Padi ?

Ne me pose pas de question, je t’en prie et réveille-moi, surtout n’oublie pas !

Ioumès fut fidèle à sa parole et Padi retourna dans le désert. La déesse continua à lui parler. ‘…) Plus il la regardait, plus il l’aimait. Tout en demeurant inaccessible, elle devenait de plus en plus proche ; auprès d’elle, le temps s’immobilisait et la souffrance était abolie. Son premier amour était une déesse et il n’en aurait jamais d’autre.

(à suivre...)

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