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Ecrire de plaisir
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19 janvier 2010

Lettre à Balder

Consigne de cette semaine : Faire écrire une lettre par un personnage d’un couple mythologique à son partenaire. J’ai choisi deux personnages de la mythologie nordique, Loki et Balder, comme couple mal-bien, blanc-noir.  Pour vous le situer voici d’abord un résumé de leur histoire :

Dans la mythologie scandinave, Baldr (Balder) était l’un des fils d'Odin et de Frigg. Il est décrit comme "si beau d'apparence et si clair qu'il en est lumineux, et il y a une plante si blanche qu'elle est nommée d'après le cil de Baldr. C'est la plus blanche de toutes les plantes, et cela nous donne une idée de sa beauté, tant de chevelure que de corps. C'est le plus sage des Ases (groupe de dieux principaux, associés ou apparentés à Odin), le plus éloquent et le plus miséricordieux  Son domaine est Breidablik, qui est dans une contrée d'où le mal est banni".
Lorsque Balder se mit à faire des rêves sinistres sur sa propre mort, Odin alla interroger l'âme d'une prophétesse défunte qui lui révéla le sort de son fils. Frigg fit alors jurer tous les éléments, les minéraux, les végétaux, les animaux de la création qu'ils ne feraient jamais de mal à Balder. Ils acceptèrent et Balder devint invulnérable. Les Ases s'amusaient de lui jeter toutes sortes de projectiles ou de le frapper avec toutes sortes d'objets et de le voir toujours indemne.

Mais Loki (fils du géant Farbauti et de Laufey. Malgré ses origines non divines, il fut considéré comme un Ase après qu'Odin l'eut accueilli à Asgard, la cité des dieux ) en conçut du ressentiment, et, prenant l'apparence d'une femme, obtint de Frigg l'aveu qu'elle avait oublié de demander au gui de prêter serment, tant cette plante avait l'air frêle et jeune. Loki prit un bâton de gui, le donna à Höder, le dieu aveugle, et guida son bras pour qu'il le jette sur Balder, qui fut transpercé et mourut aussitôt.


Mon très cher,

Tu ne liras pas cette missive, car alors que je te l’écris, tu gis au milieu des dieux désolés, dont les clameurs de deuil montent jusqu’à moi comme un encens enivrant. Ta mère tente de réchauffer contre son sein ton corps parfait, d’arracher par ses baisers un souffle de vie à tes lèvres blanches. Mais tu es désormais semblable à la glace, froid et lisse, muet à jamais et j’ai envie de chanter et de danser. Laisse moi te dire combien je savoure le souvenir de ton rire charmant interrompu tout net par le trait qui t’a percé, la lumière ineffable de ton regard se voilant soudain, la grâce de ta chute, comme si le vent et le sol eux-mêmes refusaient de te meurtrir davantage, et la consternation de ton frère, Hoder l’aveugle, lorsqu’on lui apprit qu’il venait de te tuer sans le vouloir.
Très cher, oui très cher objet de ma haine totale depuis le premier jour, toi si lumineux, d’une beauté si absolue, d’une douceur et d’une bonté incomparables ; toi dont la perfection a nourri si intensément ma rancœur et mes rêves de vengeance. Qu’étais-je moi, Loki le noir, le trop rusé, objet de toutes les méfiances, mais aussi le bouffon, le pitre qui déclenche les rires et que l’on ne peut décidément prendre au sérieux ? Un dieu aussi, sans doute, mais à peine, juste l’ombre bancale du splendide et radieux Balder, adulé de tous, dieux, hommes, bêtes et plantes, qui avaient juré si volontiers à ta mère rongée par un pressentiment de ne jamais te nuire. Sais-tu combien de temps, d’effort, de ruse et de fatigue j’ai dû déployer pour trouver un objet, un au moins, si petit soit-il, qui n’ait pas prêté ce serment? Mais je l’ai découvert, mon précieux ennemi, à force de patience et d’attention. Et comble d’ironie, c’est ta mère chérie qui me l’a dévoilé. Seul le gui n’avait pas été contacté, il était si petit, si insignifiant, quel mal pouvait donc en venir ? Insignifiant oui, autant que Loki le malingre boiteux. Et pourtant, c’est ce frêle rameau, lancé par la main d’Hoder, et il faut le dire, adroitement dirigé par moi, qui t’a fait mordre la poussière. J’avais gagné. Et pourtant, au moment où je trace ces mots, que le vent glacé efface à mesure, je comprends, enfin, que cette victoire n’est qu’une illusion. Ton incurable candeur a eu raison de ma noirceur, ton innocence de ma perfidie. Je le sais, alors que je revois ton dernier regard avant que ton soleil ne s’éteigne. Oui, tu m’as regardé, tu m’as même cherché des yeux, et je me délectais à y contempler l’expression de ton chagrin, de ton incompréhension, de ton impuissance. Mais je le sais désormais, je me trompais du tout au tout. Par ce dernier regard tu me dédiais ton pardon. Pire, ta reconnaissance. Car dès que tu as senti tes forces vitales te quitter, tu as décidé d’en faire une ultime offrande à cette race humaine que tu aimais tant. Tu m’as frustré de ma victoire, de mon plaisir, tu m’as joué, moi, le trompeur, et même cette haine qui à nouveau bouillonne en moi, je me demande si ce n’est pas ton ultime présent à mon intention. Moi qui n’ai vécu que pour te haïr et fomenter de noirs complots à ton rencontre, qui puisait ma force dans l’idée de te voir bientôt mort, irrémédiablement mort, devant tous ces ingrats déchirés de douleur !
Ils pleurent toujours, là-bas, alors qu’on t’apprête pour le bûcher final. La neige dépose une à une ses larmes blanches sur le sol, effaçant mes mots à mesure, comme si elle refusait de se compromettre avec moi, ou comme si elle savait que ce meurtre aura, au fond, aussi peu d’incidence sur le devenir du monde que n’en a eu mon existence, et que ma haine, tout comme mes plaisanteries, n’était pas à prendre au sérieux. …ou bien… Serait-ce sur moi qu’elle pleure ?. Oh Loki, plus aveugle que le pauvre Hoder, qu’as tu fait ? Je comprend maintenant, Balder, ton chagrin m’étais destiné…Tu savais avant moi que ta fin serait la mienne, que ma seule épaisseur venait de toi, ma seule raison de vivre, de ton existence. Car en effet, mon cher et précieux ennemi, à présent que tu n’es plus là par ma faute, qui vais-je pouvoir haïr aussi merveilleusement ? Comment, pour qui vais-je pouvoir exister ?

250px_Baldr

La mort de Balder, tué par Höder aidé de Loki. Manuscrit islandais du Árni Magnússon Institute, XVIIIe siècle (trouvé sur Wikipedia).

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Commentaires
M
Philippe a raison, tu as une imagination débordante ! merci de nous avoir d'abord présenté tes personnages !<br /> Bonne journée<br /> Bisous<br /> Monelle
P
Quelle imagination ! Il faut d'abord connaitre ces héros de la mythologie et puis avec beaucoup d'imagination créer une sorte de monologue. Excellent exercice très bien réalisé.
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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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