99 gouttes...

Avis à la population, A compter d'aujourd'hui, nettoyage par le vide ! Ebranlement des montagnes de papier, on trie, on déchire et on vire impitoyablement !!! Je sais, ce n'est pas le printemps mais peut-être la sagesse de la nature qui élimine ses feuilles mortes m'a-t-elle inspirée, en tout cas je me suis attelée à la tâche, digne des travaux d'Hercule, de faire un tri parmi les milliards (au moins !) de carnets, cahiers, fichiers, dossiers, classeurs et boîtes où s'accumulent depuis au moins 35 ans (ouïlle ! Je viens de m'infliger un sérieux coup de vieux, là !) mes notes, les diverses documentations recueillies un peu partout "parce que ça peut servir" ou simplement parce que j'ai trouvé les articles intéressants ou les images belles, et mes propres textes manuscrits et/ou dactylographiés qui en sont parfois sortis, ou les brouillons inachevés que "peut-être un jour...".  C'est là que je regrette encore plus de ne pas avoir de cheminée, tous ces papiers feraient de superbes feux !  En tout cas, tout en éliminant aussi drastiquement que possible ce dont je prends conscience que c'est devenu absolument inutile (que c'est dur...), je redécouvre des choses que j'avais totalement oubliées et que finalement je suis heureuse d'avoir gardées. C'est le cas du poème ci-dessous, un de mes premiers, j'étais encore étudiante, c'est vous dire ! Il m'avait été inspiré par un pauvre petit arbre ravissant mais irrévocablement condamné car il se trouvait sur l'un des premiers chantiers de démolition du treizième arrondissement de Paris, que l'on ne surnommait pas encore China Town.

Dans un quartier standardisé
aux immeubles pasteurisés
où tout est fade et triste et gris,
un jour dégoulinant de pluie,
pami tous ces terrains trop vagues
et tous ces passants qui divaguent
à force de vivre si vite,
un événement insolite
défraya un temps la chronique :
tout frémissant et pathétique
et inattendu, pour le moins,
voici qu'au milieu d'un terrain
et derrière une palissade,
ses longs bras vers le ciel maussade,
un arbre, un seul, un survivant
tordait son corps de mort-vivant.
Dénoncé par la destruction
de toutes les vieilles maisons,
dans sa nudité pitoyable
il était là. Pauvre coupable
de n'avoir pas su naître ailleurs

Quant au petit texte, il est né d'une anecdote amusante que l'on m'avait rapportée : un journaliste météo, n'ayant pas réussi à déchiffrer l'abréviation "qq" sur le prompteur, a annoncé un soir qu'il était tombé "99 gouttes de pluie" sur la région parisienne. J'ai trouvé cela très poétique, et lorsque le lendemain, de très bonne heure, j'ai croisé dans le matin brouillardeux un énorme engin de terrassement encore immobile le long d'un trottoir "en réfection", l'imagination s'est mise en route.

"99 gouttes de pluie sur l'Ile de France, et le brouillard comme un voile léger sur toute chose. Un temps d'irréalité, d'étrangeté. Le monstre mécanique ne dévore pas encore le trottoir sous les cris nerveux de ses cornacs. Il dort. Peut-être rêve-t-il, sous la douce caresse des 99 gouttes, de pays sans trottoirs, sans voitures bruyantes ni humains énervés et brutaux, où il n'y aurait que du brouillard, rien que du brouillard gris, cotonneux, si doux, posé sur lui, drapé sur lui, comme une cape de fée, atténuant ses rudes formes métalliques et ses couleurs criardes qui le navrent, absorbant ses peines inavouées de tas de ferraille bêtement utilitaire et le dissolvant imperceptiblement, amicalement, sans  heurt ni douleur, jusqu'à ce que le moindre atome de sa  carcasse se soit fondu dans les particules salvatrices et se condense à nouveau, pour se joindre avec bonheur aux 99 gouttes de pluie de ce matin-là, sur l'Ile de France..."

Belle journée à tous, avec cette image de ciel bleu pour vous en mettre plein les yeux et le cœur s'il fait gris dehors.

Comments

[Monelle]

Il m'arrive aussi de le faire de temps en temps, mais pas suffisemment !
Passe un bon W.E.
Amitié - Monelle

[renaudb]

ah ! Le nettoyage par le vide ! Je pourrais en dire autant des dessins que j'accumule, croquis, ébauches, en attente de ... Et puis parfois le grand brassage nécessaire qui permet, comme tu le dis, de retrouver des choses qui mériteraient peut-être d'être abouties, ou qui donnent un nouvel élan à l'inspiration ...
L'histoire des 99 gouttes est effectivement très amusante et lorgne du côté de Prévert.
Quant au ciel gris, il génère lui aussi sa propre qualité de lumière. J'aime ainsi les beaux ciels gris de la fin de l'hiver, du côté des flandres belges et de la mer du nord