des petites filles dans la forêt
"Je ne suis qu'une goutte, une goutte d'eau
Qui avait le moral à zéro.
J'ai quitté la route qu'on m'avait creusée.
J'avais trop envie d'être écoutée"
Grâce à Marie qui l'a mise sur son blog (laplumedemarie.canalblog.com) et que je remercie encore, j'ai retrouvé cette belle chanson de Nicole Rieu "La Goutte d'eau", que j'aimais tellement (j'ai même pu la réentendre, ainsi que "Je suis", autre merveille, sur Dailymotion !). Et j'ai été frappée de la parenté des deux dernières phrases avec le livre que je suis en train de lire, le passionnant essai de Pierre Péju "La petite fille dans la forêt des contes - Pour une poétique du conte" (Robert Laffont). Selon l'auteur "La petite fille dans la forêt des contes indique que si le "féminin" est évidemment coincé entre les grandes figures de la mère, jalousement féminisante et du mari-prince charmant, il dispose cependant d'une ligne de fuite, qu'on l'appelle la forêt, la lande, la sauvagerie, le désert, l'errance ou la folie (...)" En effet, dans les contes, reflets de la société dans laquelle ils naissent, les rôles féminins sont clairement délimités, et limités : fille obéissante du père, puis femme soumise du mari, et dans les deux cas, totalement dépendante et donc sans cesse menacée d'être chassée, répudiée, abandonnée, voire carrément vendue ou poursuivie pour être éliminée. Dans le "meilleur" des cas, priée de se conformer à l'image et au rôle qui lui ont été assignés, et d'étouffer sagement en disant définitivement adieu aux "enfantillages". La petite Elfriede des "Elfes", le conte de Ludwig Tieck, le sait très tôt : Lorsque sa compagne de jeu elfe constate "Vous autres hommes vous vieillissez trop vite, vous devenez trop tôt raisonnable. C'est bien attristant ! Que ne restes tu enfant aussi longtemps que moi !" Elle lui répond "Je voudrais bien te faire ce plaisir mais ils disent tous que j'aurai bientôt l'âge de raison et que je ne jouerai plus". Cependant, tant cette "fixation-pétrification" de "l'enfant vivante qui coulait comme une source, familière des taillis, des elfes et des nains" que l'insécurité fondamentale qui est son lot lui ouvrent dans les contes un "espace propre où va se réaliser sa complicité avec la forêt" dans laquelle elle s'enfoncera, fuyant pour toujours la société et ses règles, retrouvant peu à peu ses liens avec le végétal et l'animal et peut-être l'Autre Chemin, la porte vers l'Autre Côté, et l'enfant magique, son double merveilleux, qu'elle rencontrait si naturellement "avant".
Et last but not least comme disent les anglais, voici ce que j'ai trouvé dans le recueil "Histoires" de Jacques Prévert alors que je le feuilletai en quête d'un "joli" poème pour le billet d'aujourd'hui
ARBRES
En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles
c'est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique
mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu'ils disent lorsqu'ils parlent des humains
Les arbres parlent arbres
Comme les enfants parlent enfant
Quand un enfant de femme et d'homme
adresse la parole à un arbre
l'arbre répond
l'enfant l'entend
Plus tard l'enfant
parle arboriculture
avec ses maîtres et ses parents
Il n'entend plus la voix des arbres
Il n'entend plus leur chanson dans le vent
Pourtant parfois une petite fille
pousse un cri de détresse
dans un square de ciment armé
d'herbe morne et de terre souillée
Est-ce...oh...est-ce
la tristesse d'être abandonnée
qui me fait crier au secours
ou la crainte que vous m'oubliiez
arbres de ma jeunesse
ma jeunesse pour de vrai
Dans l'oasis du souvenir
Une source vient de jaillir
Est-ce pour me faire pleurer
J'étais si heureuse dans la foule
la foule verte de la forêt
avec la peur de me perdre
et la crainte de me retrouver
N'oubliez pas votre petite amie
arbres de ma forêt