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Ecrire de plaisir
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24 août 2013

Dans le pré ? Non, dans la cuisine...

Le bonheur, selon Philippe Delerm, est « fragile, évanescent, léger surtout » et « comme une bulle de savon d’impalpable lumière » (il) « s'envole dans le ciel par la magie bleue de ses « l » »

(Le Bonheur, tableaux et bavardages, Gallimard, Folio, 2005)

Pour tenter de le retenir, l'auteur collectionne précieusement, comme les perles d'un collier unique, ces petits riens qui

« font la terre plus douce, le plaisir meilleur »

De petits riens comme un simple vin chaud, ou le bouillon de riz dont le souvenir si intense inspira ces lignes à l'écrivain japonais Sôseki  pendant une grave maladie :

 

Sur mes entrailles

Un bouillon de riz

Verse des gouttes de printemps

(Choses dont je me souviens)

 

Car beaucoup de petits – et grands - bonheurs nous sont offerts en cuisine, cette cuisine où, toujours selon Philippe Delerm, « on parle avec animation des choses de la vie et (où) la conversation sans suite se mitonne, enjouée, naturelle » et où l'on peut « sous les talents modestes des arômes et de la couleur, dominer le présent, supprimer les menaces, tenir le monde au creux d'un plaisir chaud, dans une immobilité sucrée »

 

Lillian, l'héroïne de L'Ecole des saveurs d'Erica Bauermeister dont je vous parlais il y a quelques jours, lui fait écho et va encore plus loin :

 

« Ce qui fascinait Lillian chez ses amies, c'étaient les préparatifs de cuisine (...). Certaines odeurs étaient pointues comme un claquement de talons sur un parquet de bois dur. D'autres évoquaient la chaleur qui flotte dans l'air à la fin de l'été. Lillian observait la façon dont une odeur de fromage en train de fondre attirait les enfants hors de leur chambre, tout alanguis ; dont l'aïl leur déliait la langue et leur faisait raconter leur journée à partir d'une simple plaisanterie. Lillian trouvait bizarre que les mères ne soient pas toutes  conscientes de choses-là. La mère de Sarah, par exemple, préparait toujours du curry quand elle était fâchée avec sa fille adolescente et l'odeur sillonnait la maison avec la force d'un défi.

(...)

« « A l'âge de huit ans, Lillian prit progressivement le contrôle de la cuisine dans son propre foyer (...). Au fil des années, à mesure que ses compétences augmentaient, elle en tirait d'autres enseignements culinaires inattendus. Elle remarqua que les biscuits tendres et tièdes répondaient à un autre besoin que ceux qu'on avait laissé refroidir et devenir craquants. Plus elle cuisinait, plus les épices lui apparaissaient chargés des émotions et souvenirs de leurs lieux d'origine et de tous ceux qu'ils avaient traversé durant leurs années de voyage. Elle découvrit aussi que les gens semblaient réagir aux épices comme à d'autres personnes, qu'ils étaient instinctivement détendus au contact de certains et pris d'une sorte de rigidité cadavérique affective devant d'autres. A douze ans, Lillian avait acquis la conviction qu'un vrai cuisinier, un cuisinier qui sait lire les coeurs et les épices, pouvait prévoir les réactions avant la première bouchée et influencer ainsi le déroulement d'un repas ou d'une soirée »

 

Voire d'une vie, pourquoi pas ? Et c'est cette conviction qu'elle va appliquer avec bonheur (tiens, le revoilà !) dans son restaurant et ses cours de cuisine. Je vous le répète, lisez ce livre, aussi chaleureux et doucement parfumé qu'un vin chaud dégusté devant un feu de bois.

Avant de vous quitter, après le bonheur,  un petit plaisir déniché sous la plume d'une autre Lillian : Lillian Jackson Braun. Dans  « Le chat qui disait cheese », son héros Jim Qwilleran, inspiré par  la perspective d'une foire aux fromages, rédige un de ces poèmes farfelus dont il raffole :

                                           Il n'existe pas de meilleure gâterie

Qu'un morceau de fromage de brie.

Mon frère préfère le bleu danois

Mon patron vendrait son âme pour du Port-salut.

A Pickax* certains disent haut et clair

Que rien ne vaut le camembert

A chacun le sien, mais pour moi

C'est le Brie qui est le roi

* Localité de résidence de Qwilleran, dans le comté de Moose, à « 600 kilomètres au nord de partout » !

Savoureuse journée !

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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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