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Ecrire de plaisir
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15 juillet 2012

Vide ? Voire....

 Comme je l'espérais je peux revenir aujourd'hui, pour vous offrir ce conte d'Henri Gougaud, extrait de "Le Livre des chemins - contes de bon conseil pour questions secrètes" (Albin Michel, 2009), qui m'a vraiment parlé au coeur. J'espère que toutes les richesses qu'il contient pour vous vous trouveront accueillants et que vous ferez, comme j' ai été émerveillée de le faire, ample moisson. Très beau dimanche. 

L'homme au manteau vide

 Il était une fois un pauvre vieux village. Au bas de ses maisons était un champ de thym, dans ce champ quelques oliviers, puis des rochers, un torrent maigre. Là vivait (vivait-il vraiment ?) un homme sans corps, sans visage. Tout ce que l'on voyait, assis dans l'herbe rare, étaient son manteau, sa capuche, et ses épaules un peu voûtées. Qui était sous ce vêtement ? Peut-être quelqu'un, ou personne. Les gens l'avaient toujours vu là, les vents et les soleils aussi. Il était l'homme au manteau vide. On ne parlait guère de lui. On n'osait pas, on le craignait. On lui portait de temps en temps de quoi manger, du pain, des fruits, qu'on déposait à quelques pas. L'homme ne se retournait pas, mais une voix disait : « merci ». Alors on répondait d'un hochement de tête et on s'en retournait aux champs, à la maison, aux soins des bêtes.

Il en fut ainsi jusqu'à l'an où vient un hiver de misère. Moutons crevés, chevaux enfuis et sacs efflanqués dans la grange, on ne parlait que de cela la nuit venue, devant le feu. Ce soir-là Jeanne était assise sur le plancher près de son chien. Le menton sous ses genoux hauts elle enivrait ses yeux de flammes. Elle dit soudain :

« Demain matin, j'irai voir l'homme au manteau vide »

  • Tu es folle, gronda sa mère. Imagine qu'il te regarde, j'en ai froid rien que d'y penser.

  • Il n'a jamais mangé personne. Pourquoi me ferait-il du mal ? Je veux seulement lui parler.

  • Tais-toi donc, bougonna son père, le manteau est creux, il n'y a personne, que du vent.

  • Eh bien, répondit la petite, qu'est ce que je risque, s'il n'y a rien ? Je lui porterai nos poussins. La poule est morte. Ils vont mourir. Peut-être les sauvera-t-il.

Son père la poussa du pied.

  • Va te coucher, tu me fatigues.

Elle s'allongea contre le chien.

Le lendemain, dans son panier, elle mit ses dix poussins malingres et dévala la pente raide jusqu'aux rochers du bord de l'eau. Dès qu'elle vit l'homme au manteau vide elle reprit souffle et s'avança, en serrant son écharpe au col. Elle déposa les dix bestioles tout alentour du vêtement qui bougeait un peu sous le vent. Elle s'assit à côté de lui. Elle lui arrivait à l'épaule. Le capuchon resta penché. Elle lui jeta un bref coup d'oeil puis écouta le bruit de l'eau. Après longtemps une voix dit :

  • Que me veux-tu ?

  • Je ne sais pas. Peut-être peux-tu nous aider.

Le silence, encore. Longtemps. Jeanne entendit sonner des heures au loin, si loin que la présence de ce manteau sans rien dedans à côté d'elle lui parut prodigieusement rassurante. Elle en sourit, soupira d'aise. Alors la voix lui murmura :

  • Mets tes poussins sous mon habit et reviens dans une semaine. J'ai aimé être auprès de toi.

  • Oh, moi aussi, répondit-elle.

Elle remonta jusqu'au village. Elle s'attarda jusqu'à la nuit à errer sous les oliviers. Sa mère voulut tout savoir de ce qu'elle avait fait et dit, mais elle ne sut que lui répondre. Elle avait laissé les poussins là-bas, auprès du manteau vide. Et quoi d'autre ma fille ? Rien.

 

Six jours, six nuits, à dormir peu. Au septième matin, Jeanne courut si vite qu'elle ne sut s'il ventait, s'il faisait gris ou bleu. Elle vit de loin l'homme sans corps et les poussins autour de lui. Quelle vigueur ils avaient pris ! Elle s'assit parmi eux, au plus près de l'habit. Elle dit :

  • Que leur avez-vous fait ?

  • Je les ai réchauffés, je les ai laissé vivre.

  • Leur permettre d'aller ainsi sans que personne les surveille, c'est dangereux, lui dit l'enfant. Si un renard était venu ?

  • Ecoute, Jeanne.

Elle écouta. Le silence du manteau vide la tint au chaud jusqu'à la nuit. Le soir venu, elle soupira :

  • Je ne saurai comment leur dire.

  • Va, vis, reviens, je serai là.

  • Elle prit les poussins et s'en alla.

  • Sa mère l'attendait sur le pas de la porte. Elle s'inquiétait. Elle lui cria :

  • Tu me feras mourir ma fille!

En découvrant dans le panier la couvée qu'elle n'espérait plus :

  • D'où sortent-ils ces beaux chéris ? Qui les a nourris ? Le manteau ?

  • Il est vide, gronda le père. Il n'y a rien sous le capuchon. Un rien ne peut nourrir personne !

Jeanne ne lui répondit pas. Elle pensa, et ses yeux brillèrent : « Oh le silence de ce rien ! ». Puis elle entra dans la maison. Le feu flambait. Il faisait bon.

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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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