"Celui qui aide l'homme"

Je suis en train de terminer le livre de Michel Thabourin "Vagabond des cieux - l'histoire d'une quête"  aux éditions Le Souffle d'Or. L'auteur a beaucoup voyagé dans sa jeunesse, porté par la mouvance de 1968 et sa propre quête du sens de sa vie. Il nous livre dans cet ouvrage sincère et simple ses déambulations, ses rencontres, ses moments plus sombres mais aussi ses accomplissements, selon ses propres termes "une manière de chronique, écrite pour remercier la vie de tout ce qu'elle nous donne. Il s'agit ici de faire oeuvre de chair, de rendre grâce"

J'en extrais, entre beaucoup d'autres, cette belle anecdote

"Afin de mener à bien un nouveau projet, je viens de troquer quelques-uns de nos terrains à myrtilles ardéchois contre un adorable petit âne que nous avons baptisé Alexandros, ce qui signifie en grec "Celui qui aide l'homme".
Mais quels sont donc ces ignorants qui se permettent d'affirmer que les ânes sont bêtes ?
Alexandros et moi vivons une symbiose assez particulière. Nous avons appris à nous connaître assez rapidement, il sait ce que je veux de lui et pour ma part j'apprends à l'écouter et à respecter ses rythmes. Lorsque je le laisse brouter quelques instants à un détour du sentier alors qu'il vient de flairer une touffe d'herbes savoureuses, il repart d'un pas guilleret et donne de ses forces, alors que si je l'en empêche en humain pressé que je suis et tente de le contraindre à avancer, il tire sur sa longe et traîne du sabot pour me signifier mon attitude inadéquate ainsi que sa désapprobation. L'âne ne se dresse pas, il s'éduque m'a-t-on dit. Ainsi cheminons nous joyeusement comme deux compères, par les sentiers de garrigue escarpés et caillouteux à deux bonnes heures de marche du village de Saint-Guilhem, lui avec ses deux vastes couffins de joncs tressés, moi avec mon sac à dos (...) Nous allons restaurer une magnifique petite chapelle romane, "Notre Dame du lieu plaisant" (...) C'est un délicat travail de réfection qui m'est confié.
Alexandros est d'une intelligence étonnante. Nous avons développé tout au long de nos courses serpentines, sur les sentiers arides, une relation affective et une complicité sans égale. Il se met souvent à observer attentivement mon ouvrage, y collant même quelquefois son flanc, sa patte ou sa queue (...) posant quelquefois son museau sur mon épaule afin de me rappeler à sa dose de caresses.
C'est bientôt la fin des travaux (...) me voici donnant les dernières finition de ponçage au nouveau portail (...) Alors que je m'éloigne d'une dizaine de mètres pour satisfaire un besoin naturel contre un rocher verdi de mousse humide, me voici intrigué par un curieux petit bruit, semblable à un frottement. C'est Alexandros le bien nommé, qui s'est emparé à belles dents du papier de verre posé là et qui, donnant allègrement de la tête dans un va et vient tonique et régulier à s'en secouer les oreilles, se met à poncer le bois efficacement et dans le sens des fibres, imitant parfaitement mes gestes tout en vérifiant du coin de l'oeil que j'apprécie son aide.
Il est des moments de vie tellement émouvants qu'ils en sont de loin les plus précieux, ce sont ceux où l'amour se révèle dans les petites choses, qu'il se manifeste, qu'il se rend visible. Je reçois de cet animal une leçon de vie magistrale, embrassant de tout mon être et mon âne, et la vie et le Cosmos entier. Non, messieurs les rationalistes cartésiens, ce n'est pas du mimétisme, pas seulement. C'est de l'amour à l'état pur que cette bête me donne, et cela me fait monter les larmes dans les yeux.
C'est notre dernier jour ici et je remercie la vie qui me fait ce cadeau inattendu, couronnement de nos efforts à tous les deux, témoignage vivant et émouvant de cette unité qui relie entre eux toutes les choses et les êtres"

Je pense que beaucoup d'entre vous, tout comme moi d'ailleurs, pourraient également donner de ces témoignages qui font chaud au coeur et à l'âme. Si vous avez vous aussi de ces belles anecdotes, surtout ne vous gênez pas, j'aurais grand plaisir à les relayer.

Belle journée