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Ecrire de plaisir
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1 août 2010

Les quatre voiles de Kulala

Dans un village sur le fleuve Yele  vivait un homme qui s'appelait Doruma et qui était très heureux. Il avait une femme très belle, deux enfants sains et un champ fertile. C'était un bon chasseur et, dans le village, il n'avait pas d'ennemis. Tant et si bien que Shabunda, le diable du bois, le voyant chanter et fumer devant sa paillote comme le plus heureux des hommes, fut dévoré d'envie. Et, par dépit, il entra une nuit dans sa paillotte, lui mit ses doigts crochus dans les cheveux et, de là, lui retira le sommeil. Doruma se réveilla tout à coup, réveilla sa femme Oda et lui dit qu'une ombre malveillante l'avait effleuré.
"C'est seulement un mauvais rêve - dit Oda - retourne dormir".
Mais Doruma ne dormit ni cette nuit-là ni la nuit suivante, ni aucune nuit de cette lune. Même s'il passait son temps à travailler et à chasser au point de revenir chez lui si fatigué qu'il ne tenait plus debout, le sommeil ne venait pas. Il essaya de boire l'herbe Téréné qui fait même plier le genou aux éléphants, il tenta de dormir sur la terre, sur les arbres, sur les pierres de la rivière, rien n'y fit.
Vint alors le sorcier du village qui vit dans quel état il se trouvait. Il dit que le diable Shabunda lui avait volé le sommeil et qu'il n'existait pas de magie capable de le lui rendre, c'est pourquoi il mourrait sous peu. Seul Kulala l'esprit du sommeil, dont la demeure se trouvait au-delà des montagnes, pouvait le sauver. Il avait sans doute de nombreux sommeils car c'était lui qui les fabriquait pour Yumau le créateur. Mais Doruma était trop faible pour entreprendre le voyage.
Alors Oda sa femme dit :
- Moi j'irai chez Kulala l'esprit du sommeil.
Et comme c'était une femme courageuse elle prit une gourde d'eau, un peu de nourriture, un bâton et partit vers les montagnes. Elle marcha de nombreux jours, presque sans se reposer. Elle escalada les montagnes bleues et arriva dans la vallée du bois sacré de Kulala.
A la lisière du bois les oiseaux chantaient, les singes hurlaient et le vent secouait les arbres. Mais dès l'instant où Oda s'avança dans l'ombre, un grand silence l'enveloppa. Pas une feuille ne bougeait dans le bois du sommeil, les oiseaux étaient muets et l'on voyait seulement glisser des serpents silencieux. Oda marcha pendant longtemps et les feuilles ne bruissaient pas sous ses pieds. Le bois était toujours plus épais et sombre, jusqu'au moment où elle arriva devant un grand arbre creux, la maison de Kulala. Oda entra et vit l'esprit qui dormait dans un hamac. Elle resta à attendre qu'il s'éveille. Kulala dormit pendant un quartier de lune et, quand il s'éveilla, il vit la petite femme dans un coin de sa maison.
- Qui es-tu ? Pourquoi es-tu venue ? hurla-t-il plein de colère.
- Kulala, esprit de l'obscurité qui répare, je t'en supplie. Un diable malveillant a volé le sommeil de mon mari, et il mourra si je ne lui en apporte pas un nouveau.
- Et pourquoi devrais-je t'en donner un ?
- Parce que j'ai marché pendant très longtemps, que mes pieds sont blessés et que je suis à bout de forces ; et pourtant quand je t'ai vu dormir je ne t'ai pas réveillé, j'ai attendu patiemment.
- Soit - dit Kulala - là-bas sur cette table, il y a les morceaux du sommeil d'un homme. Chaque sommeil est constitué de quatre voiles. Si tu sais les reconnaître, tu pourras les apporter à ton mari et il retrouvera son sommeil perdu. Mais prends garde à bien choisir les voiles ou ton sort sera terrible.
- Je n'ai pas peur - dit Oda.
Kulala conduisit alors la femme devant une pierre où étaient étendus les voiles.
- Voici deux voiles blancs - dit-il - l'un est celui du silence, l'autre celui des bruits de la nuit. Choisis.
Oda les regarda et ils lui parurent semblables, mais une mouche vola au-dessus d'eux. Elle bourdonna à proximité du premier voile mais ne fit aucun bruit en passant au-dessus de l'autre. Oda prit le second et le mit sur sa tête.
- Tu as deviné - dit Kulala - Maintenant, regarde ces deux voiles colorés. L'un est celui des rêves, l'autre celui des fantômes de la nuit. Si tu prends le mauvais tous les démons et tous les cauchemars sauteront sur toi et te tueront.
Oda les regarda et les trouva semblables. Elle prit alors une petite araignée et la mit entre les deux voiles. De l'un surgit un horrible lézard vert à trois têtes. Oda prit l'autre.
- Tu es rusée, femme du fleuve. Maintenant voici deux voiles noirs. L'un est celui de l'ombre, l'autre celui de la lumière de feu. L'un donne le sommeil, l'autre rend aveugle.
Oda les regarda. Puis elle prit deux gouttes d'eau sur une feuille et les fit tomber sur les voiles. L'une  s'évapora à cause de  la chaleur et de la lumière. Oda prit l'autre voile.
- C'est bien, femme du fleuve. Mais maintenant t'attend une  épreuve plus difficile. Voici deux voiles rouges. L'un est celui du sommeil qui, avec les trois autres, rendra la paix aux nuits de ton mari et aux tiennes. L'autre est le voile du sommeil éternel, la mort. Si tu y touches, tu mourras.
Cette fois-ci, Oda n'hésita pas et et en choisit tout de suite un. C'était bien celui du sommeil. Elle le mit sur sa tête et s'endormit aussitôt. Quand elle se réveilla, Kulala la regardait en souriant et lui tendait une tasse de hakarà chaud.
- Tu m'as étonné, femme du fleuve. Par quelle magie as-tu reconnu le voile du sommeil, le plus  mystérieux de tous ?
- Il n'y a pas de magie - dit la femme - j'ai lavé pendant tant d'années le linge au bord du fleuve que je sais le reconnaître. Le voile du sommeil était le plus usé, parce qu'il a été utilisé de nombreuses fois et pendant de nombreuses nuits. Le voile de la mort était plus neuf, on ne l'utilise qu'une fois.
Kulala rit et, d'un souffle, la fit voler jusqu'au seuil de sa paillote. Oda mit les quatre voiles sur la tête de son mari, qui s'endormit enfin et eut la vie sauve

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Commentaires
H
Belle histoire. on en retrouve une semblable dans un livre de Atiq Rahimi qui s'appelle "Syngué sabour".
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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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