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Ecrire de plaisir
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8 mai 2010

Le vieil arbre et l’oiseau blanc

Il y a très longtemps que je ne vous ai pas emmené dans ma forêt d'Hystoare. Et justement, en cherchant pour un ami des contes qui parlent d'arbres, j'ai trouvé celui-ci qui m'a bien plu. On y va ?
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Au cœur d’une forêt sur le flanc de la montagne se tenait un grand arbre très ancien. Nul ne savait combien de millénaires i avait traversés. Il fallait dix-huit personnes pour en faire le tour. Ses énormes racines s’étendaient sous terre sur un rayon de près de cinquante mètres. Il avait une écorce dure comme la pierre : si on la pressait de l’ongle, on pouvait se blesser. Dans ses branchages nichaient des centaines de milliers d’oiseaux,, jeunes et adultes. Sous son ombre, la terre était exceptionnellement fraîche.
Le matin, à l’aube, comme sous la baguette d’un chef d’orchestre, les premiers rayons du soleil déclenchaient une symphonie grandiose, avec des voix d’oiseaux aussi majestueuses qu’un orchestre philharmonique. Toutes les créatures de la forêt se levaient, sur deux ou quatre pattes, dans une béate admiration.
Dans ce grand arbre, à douze mètres du sol, se trouvait une ouverture large comme une grappe de raisins de Bien Hoa. Un petit œuf brun y était déposé. Personne ne savait si un oiseau l’avait pondu à cet endroit ou s’il était le produit de l’air sacré de la forêt mêlé à l’énergie vitale du grand arbre.
Trente années passèrent, durant lesquelles l’arbre demeura intact. La nuit, parfois, certains oiseaux étaient dérangés dans leur sommeil par une lumière éclatante qui, sortant par  l’ouverture, illuminait une partie de la forêt.
Finalement, une nuit sous une pleine lune exceptionnelle et un ciel parsemé d’étoiles, l’œuf s’ouvrit et libéra un minuscule oiseau bizarre.
L’oisillon poussa un petit cri dans la nuit froide. Un gazouillis ni triste ni joyeux, mais plutôt surpris. Il chanta toute la nuit, jusqu’à ce que les premiers rayons du soleil provoquent l’habituel concert matinal de milliers d’oiseaux. A partir de ce moment, il cessa de chanter.
Il grandit rapidement. Les graines et les fruits secs que les mères déposaient dans l’ouverture de l’arbre étaient toujours nombreux. Le trou devient vite trop petit et l’oisillon dut en changer. Il apprit tout seul à voler puis ramassa des brindilles et de la paille pour se bâtir un nid. Bien que son œuf eut été brun, l’oiseau était blanc comme neige. Son envergure était large et son vol, lent et silencieux. Il allaient dans des endroits lointains où des cascades blanches rythmaient les journées comme la respiration majestueuse de la terre et du ciel. Parfois il ne revenait pas pendant plusieurs jours. A son retour, il s’installait tranquillement dans son nid pour une journée entière. Ses yeux pétillants ne perdaient jamais leur expression de stupeur.
Dans la vieille forêt Dai Lao, une cabane était bâtie sur le flanc d’une colline. Un moine vivait là depuis près de cinquante ans. L’oiseau traversait souvent la forêt Dai Lao, et de temps en temps, il voyait l’ermite, une cruche à la main, descendre lentement le chemin vers la source. Un jour, il remarqua deux moines qui remontaient du ruisseau vers la cabane. Cette nuit-là, dissimulé dans les branches d’un arbre, il observa la lumière vacillante du feu à l’intérieur et les deux hommes en grande discussion toute la nuit.
L’oiseau surveillait la forêt, restant parfois plusieurs jours sans se poser. Le grand arbre était au-dessous, ainsi que les créatures de la montagne et de la forêt cachées dans l’herbe, les buissons, les autres arbres. Depuis le jour où il avait surpris la conversation entre les deux moines, la curiosité de l’oiseau augmentait. D’où suis-je venu et où dois-je aller ? se demandait-il. Combien de milliers d’années le grand arbre restera-t-il debout ? Il avait entendu les moines parler du temps. Qu’est-ce que le temps ? Pourquoi nous fait-il naître sur cette terre et pourquoi nous reprend-il ?  Une noisette porte en elle-même sa nature délicieuse. Comment découvrir la nature du temps ? L’oiseau aurait aimé en découper une petite parcelle et la poser à côté de lui dans son nid pour l’examiner. C’était son souhait le plus vif même s’il lui fallait des mois ou même des années pour le réaliser.
Très haut dans le ciel au-dessus de la forêt ancienne, il se sentait flotter dans le néant. Sa nature était aussi vide qu’un ballon et cette vacuité était le fondement de son existence et également la cause de sa souffrance. Si je trouvais le temps, pensait-il, je me trouverais aussi.
Après plusieurs jours et plusieurs nuits de contemplation, l’oiseau revint se poser tranquillement dans son nid rapportant un minuscule morceau de terre de la forêt Dai Lao. Perdu dans ses pensées il se mit à l’examiner. Le moine avait dit à son ami :
«  Le temps s’arrête dans l’éternité, là où ceux que vous aimez ne font qu’un avec l’amour. Chaque brin d’herbe, chaque particule de terre, chaque feuille est un avec cet amour »
Mais ‘oiseau était incapable de trouver le temps. Le fragment de terre ne lui révélait rien. Le  moine avait peut-être menti. Si le temps est dans l’amour, où donc est l’amour ?
Il se souvenait des chutes d’eau sans fin de la forêt du Nord-Ouest. Il se rappelait le temps où il écoutait leur grondement du matin au soir. Il s’imaginait dégringoler lui-même, jouer avec la lumière miroitant sur l’eau et caresser les cailloux et les rochers en bas. Il se sentait devenir cascade, l’eau coulant à travers lui dans un mouvement incessant.
Un jour, à midi, alors qu’il survolait la forêt Dai Lao, l’oiseau remarqua que la cabane avait disparu. L’endroit avait brûlé et il ne restait plus qu’un tas de cendres. Paniqué, il chercha alentour. Le moine n’était plus dans la forêt. Où était-il parti ? Des cadavres d’animaux. Des cadavres d’oiseaux. L’oiseau était désemparé. Qu’est-ce que le temps ? Pourquoi nous faire venir ici puis nous faire repartir ? Le moine avait dit que le temps s’arrêtait dans l’éternité. S’il en était ainsi, peut-être que l’amour l’avait rappelé à lui ?
L’oiseau revint très vite à la forêt ancienne, ou des cris d’animaux et des éclatements d’écorce confirmaient qu’elle brûlait. Il accéléra, vola de plus en plus vite. L’incendie prenait de l’ampleur et s’approchait du grand arbre. Des centaines de milliers d’oiseaux effrayés s’égosillaient . Plus le feu s’approchait de l’arbre, plus le grand oiseau battait des ailes fiévreusement dans l’espoir de l‘éteindre mais il ne faisait que l’attiser. Il se précipita à la source, trempa ses ailes dans l’eau et revint les agiter sur la forêt. Les quelques gouttes qui tombèrent s’évaporèrent immédiatement, ce n’était pas assez, son corps entier, même dégoulinant d’eau, ne parviendrait jamais à éteindre les flammes !
Les oiseaux criaient, les jeunes sans plumes, affolés, piaillaient leur terreur. Puis l’incendie attaqua le grand arbre. Pourquoi le déluge qui s’abattait sans relâche sur la forêt du Nord-Ouest ne pouvait-il arroser celle-ci ? L’oiseau émit un cri perçant et passionné, qui devint soudain un son de cascade rugissante. La solitude et le vide s’évanouirent et firent place à  l’image du moine, du soleil surplombant la montagne, d’un courant rapide tombant sans fin pendant des milliers de vies. Le cri de l’oiseau était devenu l’énergie de la cascade et, sans crainte, il plongea vers la forêt dévastée comme un courant majestueux.
Le matin suivant, tout était redevenu calme. Les rayons du soleil apparurent mais aucune symphonie d’oiseaux ne les salua. Des pans entiers de la forêt avaient brûlé. Le grand arbre était encore debout mais la moitié de ses branches étaient carbonisées. Des cadavres d’oiseaux jonchaient le sol. Les survivants s’interpellaient, la voix empreinte de perplexité : par quel miracle le ciel totalement clair avait-il soudain pu laisser tomber la pluie qui avait éteint le feu ? Ils se rappelaient le grand oiseau blanc qui secouait ses ailes mouillées. Ils le  cherchèrent partout, dans toute la forêt mais personne ne put le trouver. Oiseau précieux, où es-tu donc ? Peut-être le feu l’avait-il tué ? Peut-être s’était-il envolé dans une autre forêt ? Le grand arbre au tronc couvert de cicatrices ne révéla rien. Les oiseaux levèrent la tête vers le ciel et se mirent à bâtir d’autres nids dans ses branches préservées. Lui manquait-il, à lui, l’enfant de l’air sacré de la montagne et de l’énergie vitale de ses quatre millénaires ? Peut-être l’arbre songeait-il : le moine l’avait dit, c’est advenu : le temps a ramené l’oiseau à l’amour qui est la source de toutes choses.
(Extrait de « Le Prince dragon, contes et légendes du Viet Nam », de Thich Nhat Hanh)

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