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Ecrire de plaisir
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14 février 2010

Pour la saint valentin

BDbxl_OlivierRameau
Pour célébrer à ma manière la saint Valentin, voici un extrait du roman "Soie" d'Alessandro Baricco dont je vous résume le sujet : Hervé Joncour mène avec son épouse une vie sans histoires à Lavilledieu. Il achète         et vend des vers à soie. Un jour, une épidémie menace la         production de soie de la région et Hervé est envoyé au Japon pour y chercher le remède à cette menace. Sur place, il fait la connaissance chez son hôte Hara Kei, d'une jeune femme dont il s'éprend au fil de ses voyages, bien qu'il revienne toujours à Lavilledieu auprès de sa femme Hélène.
Ne vous laissez pas tromper par l'apparente minceur de ce sujet ni par  la simplicité voire le dépouillement du style et son caractère volontairement répétitif, c'est un grand roman.

"Un panneau de papier de riz glissa et Hervé Joncour entra dans la pièce. Hara Kei était assis sur le sol, les jambes croisées dans le coin le plus éloigné de la pièce. Il était vêtu d'une tunique sombre et il ne portait aucun bijou. Seul signe visible de son pouvoir, une femme étendue près de lui, la tête sur ses genoux, les yeux fermés, les bras cachés sous un ample vêtement rouge qui se déployait autour d'elle, comme une flamme, sur la natte couleur de cendre. Hara Kei lui passait lentement la main sur les cheveux : on aurait dit qu'il caressait le pelage d'un animal précieux, et endormi.
Hervé Joncour traversa la pièce, attendit un signe de son hôte, et s'assit en face de lui. Ils restèrent silencieux, se regardant dans les yeux. Survint, imperceptible, un serviteur, qui posa devant eux deux tasses de thé. Puis disparut. Alors Hara Kei commença à parler, dans sa langue, d'une voix monotone, diluée en une sorte de fausset désagréablement artificiel. Hervé Joncour écoutait. Il gardait les yeux  fixés dans ceux d'Hara Kei, et pendant un court instant, sans même s'en rendre compte, les baissa sur le visage de la femme.
C'était le visage d'une jeune fille.
Il releva les yeux.
Hara Kei s'interrompit, prit une des deux tasses de thé, la porta à ses lèvres, laissa passer quelques instants et dit :
- Essayez de me raconter qui vous êtes.
Il le dit en français, en traînant un peu sur les syllabes, avec une voix rauque, vraie.

A l'homme le plus imprenable du Japon, maître de tout ce que le monde réussissait à faire sortir de cette île,
Hervé Joncour essaya de raconter qui il était. Il le fit dans sa propre langue, en parlant lentement, sans savoir exactement si Hara Kei pouvait le comprendre. Instinctivement, il renonça à toute prudence, rapportant, sans rien inventer ni omettre, tout ce qui était vrai, simplement. Il alignait les petits détails et les événements cruciaux d'une même voix, avec des gestes à peine esquissés, mimant le parcours hypnotique, neutre et mélancolique d'un catalogue d'objets réchappés d'un incendie. Hara Kei écoutait, sans que l'ombre d'une expression décomposât les traits de son visage. Ses yeux restaient fixés sur les lèvres d'Hervé Joncour comme si elles étaient les dernières lignes d'une lettre d'adieu. Dans la pièce, tout était tellement silencieux et immobile que ce qui arriva soudain parut un événement immense, et pourtant ce n'était rien.
Tout à coup,
sans bouger le moins du monde,
cette jeune fille
ouvrit les yeux.
Hervé Joncour ne s'arrêta pas de parler mais baissa instinctivement les yeux vers elle, et ce qu'il vit, sans s'arrêter de parler, c'était que ces yeux-là n'avaient pas une forme orientale et qu'ils étaient, avec une intensité déconcertante, pointés sur lui ; comme s'ils n'avaient fait rien d'autre depuis le début, sous les paupières. Hervé Joncour tourna le regard ailleurs, avec tout le naturel dont il fut capable, essayant de continuer son récit sans que rien, dans sa voix, ne paraisse différent. Il ne s'interrompit que lorsque ses yeux tombèrent sur la tasse de thé, posée sur le sol, en face de lui. Il la prit la porta à ses lèvres, et but lentement. Puis il recommença à parler, en la replaçant devant lui.

La France, les voyages en mer, le parfum des mûriers dans Lavilledieu, les trains à vapeur, la voix d'Hélène.
Hervé Joncour continua à raconter sa vie comme jamais de sa vie il ne  l'avait racontée. La jeune fille continuait à le fixer avec une violence qui arrachait à chacune de ses paroles l'obligation de sonner comme mémorable. La pièce semblait désormais avoir glissé dans une immobilité sans retour quand, tout à coup, et de façon absolument silencieuse, la jeune fille glissa une main hors de son vêtement, et la fit avancer sur la natte, devant elle. Hervé Joncour vit arriver cette tâche claire en marge de son champ de vision, il la vit effleurer la tasse d'Hara Kei puis, absurdement, continuer sa progression pour aller s'emparer sans hésitation de l'autre tasse, celle dans laquelle il avait bu, la soulever avec légèreté et l'emporter. Hara Kei n'avait pas un seul instant cessé de fixer, sans expression aucune, les lèvres d'Hervé Joncour.
La jeune fille souleva légèrement la tête.
Pour la première fois, elle détacha son regard d'
Hervé Joncour et le posa sur la tasse.
Lentement, elle la tourna jusqu'à avoir sous ses lèvres l'endroit exact où il avait bu.
En fermant à demi les yeux, elle but une gorgée de thé.
Elle écarta la tasse de ses lèvres.
La replaça doucement là où elle l'avait prise.
Fit disparaître sa main sous son vêtement.
Reposa sa tête sur les genoux d'Hara Kei.
Les yeux ouverts, fixés dans ceux d'
Hervé Joncour."

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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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