Yes Virginia

11 décembre 2009

Manhattan, septembre1897. Dans quelques mois c’est Noël mais la jeune Virginia O'Hanlon, huit ans, est très troublée : elle croit en l’existence de Santa Claus (version anglo-saxonne du Père Noël. Un billet ultérieur - ou peut-être plusieurs - sera consacré à ces deux personnages, pour lesquels d’ailleurs je faisais des recherches quand j’ai retrouvé cette histoire vraie) mais ses camarades d’école ne cessent d’affirmer qu’il n’existe pas, et elle ne sait plus que penser. Son père, consulté, lui conseille de poser la question au New York Sun, journal très influent et apprécié, qui ne saurait, selon lui, que lui dire la vérité ( !) . Cette dérobade plutôt risquée fait sans doute partie des petits miracles de Noël, car elle va valoir à la fillette une magnifique réponse d’un auteur pourtant improbable : le journaliste Francis Pharcellus Church, qui fut correspondant de guerre pendant la guerre de Sécession. Sa lettre, pleine d’humanité et de délicatesse, dépasse de loin la question posée et, au-delà de sa destinataire, touchera un très grand nombre de lecteurs. Plus de cent ans après sa première publication, elle est toujours l’éditorial le plus publié de tout journal en langue anglaise.
Pour l’anecdote, un téléfilm a été tiré de cette histoire vraie (titre anglais « Yes, Virginia… There is a Santa Claus »), réalisé en 1991 par Charles Jarrott avec Charles Bronson dans le rôle de Francis Church. Rebaptisé « Le messager de l’espoir » pour la version française, il a été diffusé plusieurs fois à la télévision au moment des fêtes de Noël. C’est d’ailleurs à cette occasion que je l’ai vu et j’avais vraiment aimé, mais c’était il y a plus de dix ans et ça ne s’est plus reproduit… Alors tous les ans, je fais le vœu que notre télévision, prodigue en rediffusions s’il en fût, ait l’excellente idée de nous repasser ce téléfilm. Hélas, apparemment ce ne sera pas encore le cas cette année.
Maigre consolation, la sortie très récente d’un DVD, mais en Allemagne (et donc en allemand ! yerk, yerk…) sous le titre « Und den Weihnachtsmann gibts doch ! » avec une piste anglaise, certes, mais rien en français et le forum http://allmoviesforum.xooit.com/portal.php grâce auquel j’ai trouvé ces informations, estime sa qualité très moyenne. Mais c’est la seule version existante ! Allez, Père Noël s’il te plaît, un petit effort, un DVD de bonne qualité avec une version française, et des bonus qui valent la peine sur l’époque, la vie du journaliste, une bonne traduction intégrale de la lettre, enfin tu sais, quoi ! Je te laisse jusqu’en 2010. Merci d’avance.

Il n’existe apparemment pas non plus de traduction française « officielle » de la lettre, alors comme je voulais vous la faire lire, je m’y colle. (Je demande l’indulgence du jury !)
J’ai remplacé « Santa Claus » par « Père Noël », plus parlant à nos oreilles françaises.

Cher Rédacteur en chef,

J’ai 8 ans. Quelques-uns de mes petits amis disent que le Père Noël n’existe pas. Papa m’a dit : « Si tu le lis dans le Sun, c’est que c’est vrai ». Dites-moi la vérité, s’il vous plaît : Est-ce que le Père Noël existe ? »
Virginia O'Hanlon, 115 West Ninety-fifth street.

Virginia, tes petits amis se trompent. Ils ont été influencés par le scepticisme de notre époque. Ils ne croient que ce qu’ils voient, et pensent que seul existe ce que leurs petites intelligences peuvent comprendre. Virginia, qu’ils appartiennent à des adultes ou à des enfants, tous les esprits sont petits face à la grandeur de cet univers qui est le nôtre. Comparé à l’immensité du monde qui l’entoure, à l’intelligence capable de saisir entièrement la vérité et la connaissance, l’homme n’est qu’un insecte, une fourmi.

Oui, Virginia, Il y a un Père Noël. Il existe aussi sûrement que l’amour, la générosité et la piété, trois choses qui existent en abondance, tu le sais, et qui donnent toute sa beauté et sa joie à la vie. Si le Père Noël n’existait pas, hélas, comme le monde serait sinistre ! Aussi sinistre que si les Virginias n’existaient pas. Car alors il n’y aurait pas de foi enfantine, pas de poésie, pas d’imagination pour rendre l’existence supportable. Nos seuls plaisirs viendraient de ce que nos sens peuvent percevoir. La lumière éternelle de l’enfance n’illuminerait pas le monde.

Ne pas croire au Père Noël ! On pourrait aussi bien ne pas croire aux fées ! Tu pourrais demander à ton papa d’engager des hommes qui surveilleraient toutes les cheminées la veille de Noël pour attraper le Père Noël, mais même s’ils ne le voyaient pas descendre, qu’est ce que cela prouverait ? Personne ne peut voir le Père Noël, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas. Les choses les plus réelles du monde sont celles que ni les enfants ni les adultes ne peuvent voir... As-tu déjà vu des fées danser sur une pelouse ? Bien sûr que non, mais ça ne prouve pas qu’elles n’y soient pas. Personne ne peut imaginer toutes les merveilles invisibles à nos yeux qui se produisent dans ce monde.

On peut mettre en pièces le hochet d’un bébé pour observer ce qui produit le bruit à l’intérieur, mais un voile recouvre le monde invisible, et même l’homme le plus fort, même la force conjuguée de tous les hommes les plus forts de tous les temps ne pourrait le déchirer. Seule la foi, l’imagination, la poésie, l’amour, la sensibilité permettent de l’écarter, pour que nous soit dévoilées la beauté et la gloire surnaturelle qu’il dissimule. Ah Virginia ! Rien d’autre n’est réel et durable dans ce monde.

Pas de Père Noël ! Dieu merci il est vivant, et il le sera toujours ! Dans un millier d’années, Virginia, et même dans dix fois dix mille ans, il continuera à réjouir les cœurs enfantins.

Francis Pharcellus Church