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Ecrire de plaisir
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3 juin 2009

un bonheurd' hirondelle

Voici le deuxième texte du concours sur l'arbre, un pur joyau. Merci hirondelle.

"J’ai fermé les yeux, une micro seconde. Et des milliers de mondes sont morts.
J’ai rouvert les yeux, et des milliers de mondes neuf faisaient leurs premiers pas.
Je n’ai pas choisi d’être ce que je suis. Ou bien l’ai-je choisi, et je ne m’en souviens pas ?
Je regarde ces bébés mondes. Eux n’ont probablement pas conscience de mon regard. Je suis trop grand, trop loin, trop vieux pour eux. Et ils ne savent pas encore utiliser toutes leurs possibilités, loin de là. Certains d’entre eux n’arriveront jamais à maturité. Ils l’ignorent et l’ignoreront toujours. Mais moi, je sais.
Mon regard fait-il la différence ? Si je regarde plus souvent ou plus longtemps l’un de ces bébés, vais-je lui donner une chance de plus ? J’ai peur de détourner mon regard. Mais je crains aussi de trop regarder.

J’ai glissé hors de la conscience. Des bébés mondes ont disparu et le chagrin m’envahit. Sur l’un de ces mondes, mes larmes s’accrochent et donnent une mer.
Est-ce vrai ? Cette mer soyeuse et profonde, ce sont mes larmes ?
C’est la première fois que je sens quelque chose entre l’un d’eux et moi. D’habitude, je les vois, puis je ne les vois plus, c’est tout. Rien n’a jamais changé
Enfle en moi une houle d’émotions que je n’avais encore jamais éprouvés.
Tempête sur le monde. C’est beau mais un peu effrayant.
Je ne peux m’empêcher de le regarder. Du coin de l’œil. La tempête s’est calmée. Et je ressens quelque chose sur quoi je ne peux mettre de nom.
Je regarde l’ensemble des bébés-mondes. Mais pas celui-là. Celui-là, je ne le regarde pas en face. Juste du coin de l’œil. Et la nouvelle sensation grandit en moi. Je ne sais pas ce que c’est, ce que je dois en penser ou ce que je peux faire avec.
Il a grandi… Non ? Si, il a grandi. Oh c’est imperceptible mais rien de ce qui se passe ne se passe en dehors de moi. Et lui, il a grandi.
Mais il ne peut pas grandir seul. Ils doivent le faire ensemble. Ce sont les dessins d’une même étoffe, l’un d’eux ne peut changer de forme sans influencer les autres. Ce qui est à l’origine de leur existence nourrit tous les petits en même temps. Lorsque l’un d’entre eux choisit de disparaître, sa part d’énergie est redistribuée. Lorsque l’un d’entre eux choisit d’évoluer, chacun d’eux reçoit une micro-part de cette évolution. Même s’ils choisissent de ne pas l’utiliser, elle reste en attente mais elle est destinée au partage.
Or là, rien n’a bougé dans les influences. Seul ce monde a imperceptiblement grandi. Comme le fait cette sensation en moi. Mon regard est irrésistiblement attiré par cette petite boule ronde et lumineuse. Pour la première fois, il y a une séparation, une différence. Il y a elle et les autres.
Et il y a autre chose. Jamais auparavant, il n’y a eu de contact entre les mondes et moi. Je les regardais naître, s’épanouir et s’évanouir. Je n’étais pas responsable de leur venue et de leur évolution. Là, quelque chose a changé.
Mon regard se pose franchement sur elle. L’eau à sa surface tressaille et se creuse comme sous une caresse. La lumière qui les fait grandir est plus vive sur elle. Quelque chose bouge. Quelque chose qui n’est pas l’eau.
C’est une telle merveille ! Et c’est déconcertant aussi. Il y a ce lien qui se fait jour. D’elle à moi, de moi à elle. Et à chaque souffle, elle me découvre quelque chose.
Jusqu’à présent, mon souffle était comme un voile sur toute cette création. Je ne le dirigeais pas.
Là ! Elle a encore grandi ! Quelque chose de doux comme un rire d’enfant m’effleure.
C’est impossible !
Et voilà que pour elle, je ressens l’irrésistible besoin de diriger mon souffle, de l’effleurer. Et l’eau, par endroits, se retire. La bulle n’est plus ronde. La matière danse, fluctue, monte, se creuse, se cherche. Un coup d’œil rapide sur les autres bébés. Ils suivent sagement le chemin que j’ai toujours connu.
Bien. Ils n’ont pas souffert de ce qui se passe.
Je reviens vers elle. Oooooh … Elle est si rapide dans son évolution, si imprévisible. L’eau d’abord, la matière ensuite. Celle-ci a cessé sa danse et s’est solidifiée. Toutes ces courbes, ces hauteurs, ces étendues calmes et maintenant, quelque chose la recouvre là où il n’y avait pas d’eau. Quelque chose de doux, qui ploie avec grâce sous la caresse de mon souffle retrouvé.
Je sens mon regard fléchir. Avant, je n’en avais pas conscience.
Que s’est-il passé ? Que dois-je faire ? Que va-t-il advenir ?
Mon souffle s’affole. Je ressens. Je ressens. Ca aussi, c’est nouveau. Comme la disparition de la quiétude.
De nouveau ce besoin de la regarder. D’être sûr qu’elle est toujours là, qu’elle n’a pas disparu, que tout va bien.
Je ne suis pas certain d’aimer cela.
Encore cette caresse, un appel aussi léger que les brumes qui habillent la petite rebelle.
Ce n’est plus mon souffle qui va vers elle, c’est moi.
En même temps que cette conscience, m’est donné le choix. Et la connaissance.
Je n’ai jamais été seul. Comme la petite boule de lumière qui danse avec une joie inconsciente du danger, je réalise qu’au delà de moi, il y a quelque chose, que le lien entre elle et moi a fait surgir la réalité d’un lien qui va de moi à …
Comment le saurais-je ? Comment le nommer ?
Le choix. Et je n’hésite qu’à peine tant est forte l’attraction. Rien ne compte plus que l’amour qui me fait tendre vers elle.
Je choisis.
Je ferme les yeux.
J’ai fermé les yeux une micro seconde. Un seul monde est mort et c’était le mien. Celui que j’avais toujours connu et habité. Sans le savoir. Sans l’éprouver.
J’ai ouvert les yeux et je suis né.
Partout, le mouvement m’entoure. J’ai une chevelure qui suit la danse mais mon corps ne bouge pas. Ferme et paisible, il est enraciné par amour, dans l’amour. Un amour qui a pris corps. Un corps de matière, solide et ferme, dans lequel je pulse et vibre et sinue.
L’attraction qui m’a propulsé vibre toujours avec force et ma course n’a été arrêtée que par la fraicheur douce du corps de la petite planète. Plus loin vers son cœur intrépide, je sens une flamme ardente mais là où je m’enracine, il n’y a que caresse et nuit.
Il me reste de mon être d’avant le lien impossible à détruire avec l’air, le haut, la légèreté. Je suis encore tendu vers le ciel si loin, si incroyablement loin et pourtant si proche. Et au dehors …Au dehors, ô merveille ! Le ciel que j’aimais tant a suivi ma course folle et est tombé avec moi. Je le vois danser autour de moi. Je n’y baigne plus comme avant. Je peux maintenant tendre mes innombrables bras vers la musique de ce ciel devenu matière et non matière, solide et liquide, lumière mouvante et ombre murmurante."

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Commentaires
M
C'est vrai qu'il est magnifique ce texte de Colette!!!<br /> <br /> Ah les belles plumes que vous avez les filles, c'est trop trop bien, comme diraient les gamins.<br /> <br /> Bizzz et bonne journée ma douce<br /> Marylo
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  • parce que j'aime lire et écrire et que, comme je l'ai découvert grâce aux ateliers d'écriture, c'est plus drôle à plusieurs. Parce que c'est passionnant de partager ce que l'on aime (ou pas) avec d'autres et de créer ainsi des liens.
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